L’étude que publie Montpellier journal et qui concerne aussi Les Hauts de Massane a été commandée par le préfet en 2010 et conduite par le centre ressource Territori. Le constat est alarmant quant à la dégradation de la situation de l’éducation, de l’emploi, du cadre de vie, de la sécurité, de la jeunesse, etc. Également quant au désintérêt des politiques pour les quartiers populaires. Avec de fortes inquiétudes concernant le délitement de la cohésion sociale. Quelles suites aura ce rapport qui a mis un an à être présenté ? Les acteurs associatifs s’interrogent.
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Mardi 21 mai, centre social CAF de la Paillade. Le rapport terminé il y a un an, va enfin être restitué au Réseau pailladin, collectif d’associations du quartier. Une trentaine de personnes sont réunies en cercle. Nourredine Boubaker, directeur adjoint de la DRJSCS (1), explique ce délai pour la restitution dans son propos introductif : « Les conditions de restitution sont extrêmement difficiles ». Explication : « Il y a des résistances parce que ce n’est pas toujours facile d’accepter une réalité qu’on a eu tendance à ne pas voir ou à ne pas vouloir voir. » M. Boubaker n’en dira pas plus. Mais au début de la réunion de trois heures puis vers la fin, il déclarera également : « On fera tout pour que ce rapport ne soit pas enterré. » « Nous, on ne lâchera pas : il est hors de question que ces études (2) soient enterrées. »
« Une question tabou »
Deux jours plus tard, Montpellier journal lui demande pourquoi il a insisté sur ce point. Y’a-t-il un risque qu’elles le soient ? « Il y a beaucoup d’études qui sont faites et qui ne donnent rien pour toute une série de raisons, répond-il. Là, en l’occurrence, ça ne le sera pas. » Lors de la réunion, M. Boubaker avait également déclaré : « Parler des quartiers, parler de la cohésion sociale c’est une question tabou. […] Il y a une espèce de blocage sur ces questions qui ne sont jamais abordées. […] Ce que nous voulons, c’est d’abord interpeller les décideurs au plus haut niveau. »
« Tant que ça ne brûle pas, tant qu’il n’y a pas d’émeutes,
on fait comme si on ne voyait pas. »
Ou encore : « Dans cette région, que les politiques soient de gauche ou de droite, il y a une insensibilité évidente à la question des quartiers populaires et il y a un désintérêt vis-à-vis des problèmes de cohésion sociale. La question des quartiers n’est pas une question prioritaire. Dans les cercles d’institutionnels – parfois de haut niveau – que je fréquente, on s’intéresse aux quartiers quand il y a des problèmes de sécurité. Tant que ça ne brûle pas, tant qu’il n’y a pas d’émeutes, on fait comme si on ne voyait pas. »
Corinne Dessis de Territori précise : « On a restitué cette étude à M. Vignal [ancien adjoint au maire à la cohésion sociale] et le rapport a été envoyé à Mme le maire, au président du conseil général et à l’agglo. » M. Boubaker souffle : « Il a fallu six mois. » « Pourquoi il a fallu six mois ? » interroge une personne du Reseau pailladin. La question restera sans réponse et deux jours plus tard, M. Boubaker refusera d’en dire plus à Montpellier journal sur ces difficultés, délais, blocages, etc. « Ça prend du temps », dira-t-il seulement (3). Soulignons quand même que les rapports sur Nîmes, Béziers et Montpellier ont fait l’objet d’une restitution globale devant les CEMEA le 11 octobre 2012.
Rapport « transformé »
Et que « renvoient » les élus, interroge un participant ? Il n’y a pas eu de « renvoi » répond M. Boubaker, « la seule transmission au préfet de région a pris beaucoup beaucoup de temps et jusqu’à maintenant les restitutions auprès des élus n’ont pas été réalisées. Sauf pour M. Vignal ». Une autre déclaration, cette fois de Bruno Carlon, l’autre auteur du rapport, interpelle. Celui-ci lâche, au bout de deux heures de réunion : « On l’a transformé parce qu’on nous a demandé de le transformer. Je ne rentrerai pas dans les détails. » Le lendemain, on l’interroge pour essayer d’en savoir plus. Réponse : « Je n’ai rien à dire. » La version de M. Boubaker est que ce sont seulement les préconisations qui ont été retirées mais que la partie analyse n’a pas été édulcorée.
Alors que dit cette analyse basée sur environ 90 entretiens avec « des institutions, acteurs locaux, professionnels et responsables des services publics, habitants, commerçants, personnes ressources et associations » du quartier Mosson (Paillade + Hauts de Massane) ? Une phrase peut le résumer en partie : « Force est de constater que le maillage associatif et institutionnel dense, les transports publics performants, la présence de services publics et d’équipements de qualité, l’implantation de la Zone franche urbaine, n’ont pas permis d’éviter le processus de ségrégation progressif, accentué par une politique de peuplement qui a concentré progressivement des populations précaires à tous égards, financiers, culturels et sociaux. »
Un quartier qui « peu à peu décroche »
Si le document ne donne que peu d’indications chiffrées sur l’évolution négative du quartier (4) – par exemple par rapport à 10 ans en arrière – des chiffres actuels dressent le portrait d’un quartier d’environ 25 000 habitants qui « peu à peu « décroche » et s’éloigne du droit commun des montpelliérains ». 63 % de logements sociaux, 12 % de ménages de 6 personnes et plus, un ratio d’habitants / logements trois fois plus dense que pour l’ensemble de la commune, 28 % de la population a moins de 15 ans (15,5 % pour Montpellier), 12 500 personnes vivent sous le seuil de pauvreté (soit environ la moitié de la population du quartier), un revenu médian plus de deux fois inférieur à l’ensemble de la ville (7000 € contre 15 200 € pour Montpellier), 45 % de la population sans diplôme (19 % pour Montpellier), trois collèges en grande difficulté, 46 % de chômage chez les moins de 26 ans sur la Paillade (18 % sur Montpellier), 31 % de la population de nationalité étrangère (11 % pour Montpellier).
Les auteurs refusent la qualification de « ghetto » (5) pour le quartier mais affirme cependant que « différents signes d’un processus de ségrégation qui se consolide sont préoccupants : le regroupement des situations de précarité, la faiblesse des résultats scolaires et de l’orientation des jeunes, l’accès plus difficile à l’emploi, la dégradation des situations d’habitat dans les copropriétés, l’insécurité qui perdure dans certains espaces publics, certains fonctionnements communautaires qui se radicalisent en communautarisme, un investissement en financements publics insuffisant pour inverser la dégradation des situations ». La rénovation urbaine ? Pour M. Carlon, c’est plus « une opération sur le bâti mais pas véritablement un projet urbain » et il y a « peu de liaison entre le projet urbain et le projet social ». Sur quinze copropriétés, « 5 sont répertoriées comme « dégradées » et plusieurs « fragiles » ».
Relations ethnicisées par les institutions et les élus
Plus de deux pages sont consacrées à « l’ethnicisation (6) des rapports sociaux » où on peut notamment lire : « Certains acteurs rencontrés estiment même que ce sont les institutions et les élus qui ont ethnicisé les relations alors que les habitants ne réclamaient que du droit commun. Ils pensent en effet que le clientélisme généré par le fonctionnement institutionnel et les dispositifs de politique publique « a contribué à la fabrication du communautarisme ». On peut dire que ce rapport aux habitants et à la fonction du religieux est également exploitée et surinvestie chaque fois que les pouvoirs publics s’adressent en priorité à l’imam pour résoudre les problèmes du quartier et servir de médiation avec les habitants. Au sein de ce débat plein de confusions, il reste nécessaire que les politiques publiques luttent contre l’ethnicisation des rapports sociaux, grille de lecture attribuée à la différence ethnique pour traduire et expliquer les phénomènes sociaux. » Un paragraphe est aussi consacré au « fonctionnement communautaire et religieux » présent dans tous les esprits mais qui fait l’objet d’un « impensé collectif ».
Sur l’éducation, « l’enjeu majeur » sur ce territoire, la situation de trois collèges et du lycée professionnelle n’est pas brillante avec des établissements « hyper ethnicisés » et entre 66 % et 81 % de catégories socio-professionnelles défavorisées dans les familles des collégiens (contre 33 % dans l’académie) et « en grande difficulté en termes de résultats scolaires ». Ces derniers sont également « de 10 points inférieurs à la moyenne nationale » en primaire. Soulignons deux points qui peuvent permettre de combattre les idées reçues : « Les enfants issus de l’immigration ne réussissent pas moins bien parce qu’ils sont d’origine étrangère, mais parce qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales défavorisées qui sont moins armées pour se positionner face aux stratégies déployées au sein du marché scolaire. » Ou encore : « Les familles les plus précarisées des quartiers populaires n’ont pas désinvesti la scolarité de leurs enfants, mais leur relation de confiance dans l’institution scolaire est à reconstruire. »
Déficit de véritable politique de la jeunesse
Sur un sujet connexe, Bruno Carlon martèle : « Ce quartier souffre d’un déficit de véritable politique de la jeunesse » alors que, on l’a vu, les habitants sont très jeunes. Et le rapport indique : « De l’avis de nombreux interlocuteurs, il est nécessaire de développer une politique globale, cohérente et coordonnée, en direction des jeunes, démarche dont personne ne s’empare vraiment aujourd’hui. »
La question de l’emploi est abordée sous l’angle des différents opérateurs et donne donc un éclairage limité. La Zone franche urbaine est, quant à elle, jugée « peu en adéquation avec le quartier » où « les enjeux liés à l’emploi des populations du quartier semblent peu pris en considération ».
Faiblesse des actions de prévention
Côté sécurité et délinquance, « la Mosson n’est pas un quartier globalement insécurisant, chacun peut s’y promener tranquillement, mais il existe certainement des heures et des espaces plus anxiogènes ». Le rapport pointe « la faiblesse des actions de prévention » et affirme que La Mosson est le « 2e secteur de la ville pour les faits de voie publique » tout en précisant que «la réalité de la délinquance est toutefois tributaire d’une culture ‘du chiffre’ qui a tendance à ‘faire monter les statistiques’ » (lire sur ce point : Faut-il interdire au préfet de faire des conférences de presse sur « la sécurité » ?).
Un long chapitre est consacré aux associations qui « tiennent une place importante sur le territoire et auprès des habitants dans un rôle de proximité et de convivialité, de réassurance et d’écoute », qui « ne parviennent à survivre que par l’apport des financements publics accordés » et qui « entretiennent des relations ambivalentes avec les pouvoirs publics, avec les techniciens comme avec les élus, dans un rapport de dépendance réciproque ».
Manque d’objectifs stratégiques
Sur le plan de la « gouvernance des politiques publiques », le rapport pointe le manque d’« objectifs stratégiques affirmés », et préconise « une gouvernance politique plus présente et une mise en débat des questions qui font problème et la reconnaissance par la Ville qu’il existe bel et bien de vrais problèmes sociaux importants sur ce territoire ». Les auteurs soulignent : « S’il n’existe pas de véritable stratégie « politique de la ville » de la part de la Ville, il n’existe pas non plus de sous-préfet à la ville du côté de l’État. »
Le rapport ne rentre pas plus dans le détail des causes de la situation du quartier par exemple en présentant plus précisément les « politiques de peuplement » évoquées, les méthodes d’affectation des logements sociaux ou des subventions aux associations, les pratiques clientélistes, etc. Bruno Carlon répond qu’il ne s’agissait pas de faire un « travail encyclopédique » et rappelle que le rapport va déjà loin en disant que « les institutions sont en partie fabricateurs des processus de ségrégation ».
« Si en plus je rentre sur la question de l’opacité des attributions,
du clientélisme politique, on n’en sort pas »
Sur le logement, « l’incrimination liée à l’opacité des politiques d’attribution et de peuplement, c’est quelque chose qui est acquis par tout le monde », affirme le co-auteur. Peut-être, mais pas vraiment reconnu par tous les acteurs (lire par exemple : Logement social : pour Louis Pouget, tout va très bien chez ACM). Et puis, « on a déjà essayé de faire passer un certain nombre de questions qui ne sont pas simples si en plus je rentre sur la question de l’opacité des attributions, du clientélisme politique, de l’absence de partenariat entre les bailleurs, etc. On n’en sort pas. On ne peut pas s’attirer en permanence tout le monde contre soit lorsqu’on essaye de faire passer des choses. »
« Comment on le capitalise collectivement ? »
Reste les suites de ce rapport. Car beaucoup d’acteurs, à commencer par Eva Beccaria, élue municipale déléguée au quartier Mosson, disent en substance « on le sait ce qui est dans ce rapport » et demandent : « Et maintenant ? » Khalid El Hout, éducateur à l’AJPPN – et par ailleurs militant à Justice pour le Petit-Bard – déclare avoir eu une copie du rapport « qui circule sous le manteau » (7) et qui « a du succès auprès des habitants qui sont aussi des sociologues en puissance ». Pour lui, « c’est un bon support » mais demande : « Comment on le capitalise collectivement ? Je ne compte pas – à titre personnel – sur le pouvoir politique local pour régler la gestion des quartiers populaires. Parce que, depuis 30 ans, il le règle d’une seule manière : de manière clientéliste. C’est une marque de fabrique à Montpellier depuis 1977. » Et d’en appeler au « rôle de l’Etat ». Pour lui, lire, débattre ne suffit pas et demande : « Comment peut-on faire pour que des propositions émergent quitte à ramener les élus qui sont réticents ?»
MM Boubaker et Carlon appellent eux plutôt à « l’appropriation » du rapport et à « débattre » avant de passer aux préconisations. Bruno Carlon se fait néanmoins plus précis quand il déclare qu’il y a deux façons pour cette appropriation : « Que l’Etat, multiple et pluriel, accepte de porter ces questions et les porte avec attention. » Autre possibilité : « Que dans les lieux qui portent des politiques de cohésion sociale, on sorte de la peur, de la rumeur, de l’incertitude » en acceptant de dire que les questions suivantes méritent d’être débattues : la jeunesse, le fait communautaire, l’accès aux droits et les questions de pauvreté, l’emploi, l’émancipation sociale des populations.
Alors un rapport de plus ou un vrai point de départ pour une amélioration de la situation dans les quartiers populaires ? Alain Genre-Jazelet, le délégué du préfet sur la Mosson, silencieux pendant toute la réunion, déclare en conclusion : « Il est important que ce ne soit pas un rapport qui soit mis en haut d’une étagère comme la multitude de rapports qui ont pu être faits à droite à gauche. À côté de Nourredine, je m’engage à ce qu’une suite soit donnée à ce rapport. Peut-être humble, modeste mais il y aura une suite. » Prudence ou manque d’ambition ? On attend maintenant que Pierre de Bousquet de Florian, le préfet de région et les élus s’expriment sur le sujet.
L’intégralité du rapport (cliquer sur l’icône en bas à droite pour l’agrandir):
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(1) Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale. Nourredine Boubaker y est chargé des relations avec l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).
(2) Des études existent également concernant un quartier de Nîmes (Pissevin-Valdegour), de Béziers (La Devèze) et de Perpignan. Les deux premières sont également terminées. La troisième ne l’est pas encore.
(3) Comme cela avait pris du temps pour diffuser le rapport Argos de 2007 mettant en évidence des discriminations dans l’accès au logement social (lire : Discriminations : les offices HLM font l’autruche) et qui n’a eu des suites positives uniquement sur Sète alors qu’à Montpellier et chez ACM, le bailleur, ultra dominant sur le département, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Il y a pourtant à dire (lire : ACM rappelé à l’ordre dans un rapport d’inspection).
(4) Bruno Carlon dit concernant un chiffrage de l’évolution du quartier : « Ce sera traitée dans la globalité des quatre études avec la DRJSCS » avec « des éléments spécifiques aux territoires et de globalité ensuite ».
(5) « Au sens de l’enfermement, du rejet massif des institutions, de la violence, et d’une organisation sociale repliée sur elle-même. » Sur l’utilisation du terme de « ghetto », lire Parias urbains. Ghetto – Banlieues – Etat, Loïc Wacquant, La Découverte, 2006, 332 p
(6) Le rapport définit le terme ainsi : « L’ethnicisation, où l’origine sert de référence pour catégoriser les populations qui de ce fait accentuent leurs différences, est également un processus qui produit des clivages et une forme de mise à distance, puisqu’elle exacerbe non pas ce que les gens ont en commun, mais ce qui les distingue. »
(7) Il a finalement été diffusé au Réseau pailladin jeudi 23 mai.
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