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Le Jeudi 9 janvier 2014 à 19:30

Jean-François Floch condamné pour agressions sexuelles


Jean-François Floch, co-dirigeant avec son épouse Dominique Joubert, de Bioréalités puis d’Eramondi, startup montpelliéraine prometteuse dans le domaine médical, a écopé de dix mois avec sursis pour harcèlement moral, tentative d’agression sexuelle et plusieurs agressions sexuelles sur ses salariées. Le chef d’entreprise a reconnu certains faits sur procès-verbal comme des mains aux fesses ou aux seins et même une main dans un soutien-gorge.

Pour des photos de Jean-François Floch et Dominique Joubert, voir ici et ici. Pour Jean-François Floch seul ici.

Jean-François Floch, patron d'Eramondi (ex Bioréalités)

Pour plus de détails sur la condamnation, lire : Condamné pour agressions sexuelles il s’en prend à nos sources

Extrait du jugement du tribunal correctionnel de Montpellier du 17 juin 2014 condamnant Jean-François Floch à 10 mois de prison avec sursis

« Ce ne sont pas tant ses recherches qui sont intéressantes que son fondateur. » Cette phrase qui prend un sens tout particulier aujourd’hui, c’est Objectif Languedoc-Roussillon qui l’écrit dans son édition de juin 2011 à propos de l’entreprise Bioréalités (devenue Eramondi), en introduction des trois pages consacrées à son patron Jean-François Floch. Le magazine est visiblement tombé sous le charme de ce chef d’entreprise « atypique qui se dit au service de ses cadres (et non l’inverse) » et semble oublier un peu vite que la richesse de Bioréalités, c’est surtout ses recherches très prometteuses dans le traitement de plusieurs cancers dont le cancer colorectal. Tellement prometteuses que Servier, premier groupe pharmaceutique français indépendant (3,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, 20 000 salariés), a racheté Bioréalités en juillet 2011. Il faut dire que le marché potentiel est énorme et Servier ne s’y est visiblement pas trompé.

Inspection du travail
Quelques mois plus tard, c’est une autre facette de l’entreprise que vont découvrir les policiers, les gendarmes, le procureur et l’inspection du travail. Car ce sont pas moins de sept salariées de l’entreprise, aidées par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui dénoncent à l’inspection du travail des faits de harcèlement sexuel et/ou d’agressions sexuelles.

Dans un courrier daté du 7 mars 2012, l’inspectrice du travail écrit ainsi à Jean-François Floch : « En tenant des propos blessants ou humiliants et en mettant intentionnellement en place des actions de déstabilisation de ces personnels, en adoptant un comportement non désiré à connotation sexuelle s’exprimant tant verbalement que physiquement avec pour effet de créer un environnement intimidant et portant atteinte à la dignité des personnels, vous avez outrepassé les limites de l’exercice de votre pouvoir de direction. » Conséquence : l’inspectrice dresse un procès-verbal et le transmet au procureur de la République de Montpellier.

Procès-verbaux d’audition
L’enquête démarre et ne traine pas. Les auditions ont lieu puis Jean-François Floch est placé en garde-à-vue le 10 avril pendant près de quatre heures à la gendarmerie de Clapiers. Il sera de nouveau entendu le 15 mai pendant près de 2h30. Et à la lecture des procès-verbaux d’audition que Montpellier journal a pu consulter, on est frappé : les accusations sont convergentes et, plus étonnant encore, Jean-François Floch reconnaît certains faits.

Il confirme par exemple, avoir suggéré à Caroline (1) de faire une présentation devant lui, complètement nue. Il s’agissait, selon lui, de l’entraîner à faire face à de futures épreuves professionnelles. Une technique de management très spéciale.

« La main sur son sein »
Jean-François Floch confirme également avoir glissé sa « main dans son chemisier puis dans son soutien-gorge » alors que Caroline était au téléphone. Et Béatrice ? « Au cours de nos entretiens en juin 2009, je lui ai mis, par-dessus ses vêtements, la main sur son sein. Il n’y a jamais rien eu avant et il n’y a jamais rien eu après. » Et Malika ? « Par-dessus ses vêtements, j’ai dû lui mettre la main aux fesses et aux seins. »

Mais ces actes pourraient ne pas avoir été cantonnés à l’entreprise. En effet, une personne extérieure à l’entreprise, retrouvée par les enquêteurs, témoigne en ces termes : « D’un coup d’un seul, il m’a ouvert ma fermeture éclair d’un grand coup et jusqu’en bas. Ma tunique était ouverte en grand. Je me suis retrouvée en soutien-gorge assise à côté de lui. […] Au moment même où il me déshabillait, il m’a dit : « Déshabille-toi, montre-moi tes seins. » Je me souviens même que lorsque je tentais de me rhabiller, il descendait ma bretelle de soutien-gorge et il me disait : « Montre-moi ta poitrine. » J’ai réussi à refermer ma blouse. » Mais là, Jean-François Floch dément : « Non, je n’ai pas ouvert sa tunique. »

« Maître du fétiche »
L’entrepreneur est né au Sénégal et a passé plusieurs années en Afrique. C’est d’ailleurs là qu’il a rencontré son épouse, Dominique Joubert, l’une des deux personnes qui dirigeaient l’équipe de recherche à l’origine des découvertes médicales. C’est par son expérience africaine qu’il décrit ses relations avec la femme de ménage « black » de Bioréalités : « Je suis initié aux cultures « maître du fétiche » dans toute l’Afrique noire. De part mon statut, je ne peux pas faire l’amour à une femme noire sinon je perdrais automatiquement mon statut de maître. »

En parallèle de la procédure judiciaire, la vie de l’entreprise est évidemment très affectée. Certaines salariées démissionnent, d’autres sont déclarées inaptes par la médecine du travail et certains – dont deux hommes qui ont soutenu leurs collègues femmes – sont licenciés. Aujourd’hui, la majorité a retrouvé un emploi mais trois en cherchaient toujours un fin 2013.

« C’est compliqué d’en parler »
Anne raconte qu’elle a failli trouver un emploi, elle avait un accord oral mais après un contact avec Jean-François Floch, son nouvel employeur n’aurait pas donné suite. Elle explique la difficulté de prendre les devants et de parler de ce qu’elle a vécu chez Bioréalités : « Vu que toutes les procédures sont lancées et qu’aucun procès n’a eu lieu, c’est compliqué d’en parler. » Et d’ajouter : « Ça doit être très compliqué, pour quelqu’un d’extérieur, d’arriver à voir où est la vérité. »

Côté santé psychologique, Anne raconte qu’après un congé maternité, elle ne voulait pas reprendre le travail tout de suite et a été voir son généraliste en lui expliquant ce qui s’était passé. « En gros, ce que le médecin a dit c’est qu’il ne fallait simplement pas que j’y retourne, que j’étais en pleine dépression donc qu’il fallait du temps pour me reconstruire. » Puis le médecin du travail émettra un avis « d’inaptitude définitive à [son] poste » et elle sera licenciée. Aujourd’hui, elle n’a aucun doute sur le lien entre ce qu’elle a vécu chez Bioréalités et sa dépression. Et elle n’est pas complètement remise. Du temps ? « Il n’y a pas que le temps. Tant que cette personne ne sera pas jugée, je ne pourrais pas m’empêcher de me sentir coupable. Nous, on en subit les conséquences mais lui ne subit rien. Et ça, ça n’aide pas forcément à avancer. » Ajoutons qu’on ne sait pas où en sont les méthodes de « management » aujourd’hui dans l’entreprise qui compte une vingtaine de salariés.

« En attente d’audiencement »
Coté judiciaire, il y a deux procédures en cours. Au pénal, l’enquête a été vite menée et à notre connaissance, aucun acte n’a été conduit après le printemps 2012. Les victimes présumées sont défendues par Me Laurent Epailly. L’affaire était-elle simple ? En tout cas, aucun juge d’instruction n’a été désigné et le parquet prévoit, au printemps 2013, de renvoyer Jean-François Floch devant le tribunal correctionnel. Problème depuis cette date, rien ne s’est passé. Christophe Barret, le procureur de la République de Montpellier, confirme à Montpellier journal que « le dossier est en attente d’audiencement ». Pourquoi de tels délais ? « On a plus de 2000 dossiers en attente d’audiencement. On juge à peu près 7000 affaires par an. » Rappelons au passage que la France consacre à peu près moitié moins de budget par habitant à la justice que l’Allemagne (lire le rapport du Conseil de l’Europe de 2010 ici).

L’affaire nous rappelle également que l’article de la loi du 17 janvier 2002 qui élargissait le champ d’application du harcèlement sexuel, a été abrogé par le conseil constitutionnel le 4 mai 2012. Conséquence, explique Marilyn Baldeck de l’AVFT : « On a des faits de harcèlement sexuel qui, de mon point de vue, sont parfaitement caractérisés, qui ne vont pas pouvoir être poursuivis. » Car ils tombent dans la période vide juridique (lire l’article sur lejdd.fr). Le tribunal devrait donc n’avoir à se prononcer que sur les agressions sexuelles et le harcèlement moral.

« Abrogation ultra préjudiciable »
Problème, explique Marilyn Balbeck, « pour celles qui ont porté plainte pour agression sexuelle et harcèlement sexuel, l’abrogation est ultra préjudiciable parce qu’on peut avoir plus de facilité à apporter la preuve du harcèlement sexuel que de l’agression sexuelle. » Autre volet de l’affaire : les prud’hommes sur la partie droit du travail, non concernée par l’abrogation, donc qui devraient se prononcer sur le harcèlement sexuel. Après deux renvois en 2013, l’affaire devrait être examinée le 3 février. L’avocate des salariés est Me Pascale Dell’Ova.

Sollicité par Montpellier journal, Jean-François Floch qui, d’un point de vue juridique, est présumé innocent, n’a pas souhaité s’exprimer au téléphone. Problème, il est en déplacement : « Je travaille au Luxembourg (2) quinze jours par mois et quinze jours par mois à Montpellier. » Donc difficile de faire un entretien en face à face. Mais il prend quand même le temps de déclarer : « Il y a une tentative qui a été faite au niveau du pénal et il n’y a aucune suite. » Tentative d’intox ? Car, on l’a vu, ce n’est pas ce que nous a dit le procureur. Puis le chef d’entreprise prévient : « Toute information qui serait fausse donnerait suite à des poursuites, bien entendu. » Bien entendu. Puis : « Soyez prudent. » Et quand on lui propose de réagir après publication : « Mes avocats regarderont et c’est eux qui décideront. »

Servier « pas du tout au courant »
Et Servier ? Car c’est bien du dirigeant d’une entité qu’il a rachetée dont il s’agit. « On n’est pas du tout au courant et on n’a pas de commentaires à faire », déclare Laurent Sorcelle, chargé des relations presse. Et maintenant qu’ils sont au courant, quelles actions ont-il prévu d’entreprendre ? « Pas de commentaires. »

Dominique Joubert, l’épouse de Jean-François Floch, est était (cf mise à jour ci-dessous) un des six membres du comité d’investissement d’AxLR, une société d’accélération du transfert de technologies (SATT), spécialisée « dans la maturation et la commercialisation de projets innovants issus de la recherche académique ». Champ d’action : « La majeure partie des laboratoires de la recherche publique implantés en Languedoc-Roussillon, une des régions françaises et européennes les plus dynamiques, avec plus de 200 laboratoires et près de 12 000 chercheurs. » Après un peu plus d’un an d’activité, la société revendique 4 M€ d’investissements. Donc une société qui compte quand on a des projets à développer.

Interrogée par un gendarme sur « les gestes inappropriés qu’a pu avoir [son] mari vis à vis de certaines femmes », Dominique Joubert répond : « Je ne l’aurais pas fait. Je pense que si l’on remet les faits dans leur contexte, les choses sont différentes, il n’a jamais abusé de qui que ce soit, c’est une personne qui a une manière certes atypique de déstabiliser les gens, mais c’est dans un but bien précis, c’est pour comprendre les raisons qui ont amené à des situations conflictuelles au sein de l’entreprise, afin de les résoudre et permettre que le projet commun que nous avions tous arrive à son but. » Interrogé sur sa devise par Objectif Languedoc-Roussillon, Jean-François Floch avait répondu : « Pas de frontière. »

[Màj le 10/01 à 16h10 : Le nom de Dominique Joubert, qui apparaît toujours dans le cache de Google, a été retiré du site d'AxLR aujourd'hui. Contacté par Montpellier journal pour en connaître la raison, Franck-Léopold Erstein, en charge de la communication d'AxLR, déclare : "La décision a été prise il y a un ou deux mois parce qu'il y avait un conflit d'intérêt entre les fonctions de Mme Joubert au Pôle Rabelais et sa mission à la SATT. Elle reste experte au sein de la SATT pour un certain nombre de dossiers mais comme le Pôle Rabelais est source de dossiers à traiter pour la SATT, ce n'était pas possible qu'elle soit juge et partie. La mise à jour a été faite toute à l'heure, c'est vraiment un concours de circonstances." Et n'aurait donc rien à voir avec la parution de l'article de Montpellier journal. D'après le site du Pôle Biosanté Rabelais, Dominique Joubert est responsable du groupe de travail "conseil en valorisation" dont l'objectif est "de valoriser les travail des chercheurs et ingénieurs pour un meilleur transfert vers l’industrie, de mettre en œuvre les premières démarches avec les porteurs de projet en amont des délégations régionales".]

[Màj le 18/06 : après deux reports d'audience du fait de dysfonctionnements au sein du tribunal de grande instance, Jean-François Floch a finalement été jugé le 17 juin par le tribunal correctionnel. Et Midi Libre rapporte (18/06) qu'il a écopé d'une peine de "dix mois avec sursis". Le quotidien régional rapporte également que Luc Abratkiewicz, l'avocat de Jean-François Floch, avait évoqué à propos des agissements de son client - donc notamment, on l'a vu plus haut, d'une main dans le soutien gorge d'une de ses salariées - « un peu trop de vulgarité, de familiarité » et avait demandé la relaxe.]

[Màj le 23/06 : l'AFP précise (18/06) que Jean-François Floch a également écopé de "19.000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral et agressions sexuelles sur huit de ses salariées".]

[Màj le 24/11/2015 : modification du titre pour prendre en compte la condamnation de Jean-François Floch.]

[Màj le 29/06 : remplacement de la photo par un dessin (explications ici) et ajout de liens vers des photos sur d'autres sites.]

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(1) Tous les prénoms des salariées ont été modifiés.
(2) On aurait aimé lui demander si c’était pour des raisons fiscales. Si oui, ce serait cocasse puisque sa femme a d’abord mené ses recherches dans des laboratoires publics (Inserm, CNRS, Université de Montpellier).

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