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Le Dimanche 25 janvier 2009 à 23:38

Sans-papiers : les dérives d'une politique du chiffre


Un avocat parle d’un « faux PV » rédigé par des policiers. La Coordination des comités de soutien aux sans-papiers s’interroge sur des « pratiques douteuses » notamment d’éventuelles dénonciations de la préfecture. Quant à l’audience où cette affaire a été évoquée, elle s’est tenue à huis clos. Ce qui n’a pas facilité la transparence.

[Cet article est une réécriture d'un précédent qui ne m'a pas paru suffisamment clair. Compte tenu de l'importance du sujet, je vous en livre une nouvelle version qui, j'espère, sera plus lisible.]

(photo : Mj)Mardi 13 janvier, 6h15 du matin. “Six policiers en civil tambourinent à la porte d’un appartement (1). Nouredine (2) ouvre. Les policiers lui montrent une photo d’Ahmed, une personne sans-papier qu’ils recherchent. Ils lui demandent s’il le connaît. “Oui, comme ça mais il n’est pas là”, répond en substance Nouredine. C’est alors que les policiers lui demandent ses papiers. Nouredine n’en a pas. Les policiers l’embarquent. Rachid, présent dans l’appartement, est lui aussi sans-papier. Il est également interpelé. Résumé de l’acte 1 : des policiers venus chercher Ahmed repartent avec Nouredine et Rachid.

« Imprécisions »
Nouredine est finalement libéré car sa demande de régularisation est toujours à l’étude à la préfecture. Quant à Rachid, il est placé en centre de rétention à Sète car il est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Et il comparaît le 15 janvier devant Philippe Treille, juge des libertés et de la détention (JLD), qui doit statuer sur la prolongation de sa rétention. Et là, surprise, le magistrat le libère car, explique-t-il dans sa décision, des « imprécisions ne permettent pas au juge des libertés et de la détention de vérifier la régularité de la procédure ». Et c’est là qu’il faut revenir en arrière pour comprendre comment un magistrat a été contraint de libérer une personne en situation irrégulière. Et d’étudier quelles sont ces « imprécisions », joli euphémisme comme on va le voir.

Les policiers ne se sont pas rendus par hasard à l’endroit où se trouvaient Nouredine et Rachid. Voici leur version. La veille, le 12 janvier à 9h, ils font un premier PV qui consigne le lancement de l’enquête. Le point de départ en serait une dénonciation téléphonique anonyme. Elle concernerait Rachid et Ahmed. Les policiers, disent-ils, vérifient à la préfecture si les deux personnes dénoncées sont bien en situation irrégulière et récupèrent la photo des intéressés. Sauf que dans ce PV, il n’est plus question de Rachid et Ahmed mais de Rachid et… Nouredine ! Erreur fatale : les noms ne correspondent pas entre le PV de 9h et celui de 10h. De plus, selon le JLD, « dans le PV d’interpellation, les services de police précisent bien qu’ils n’avaient la photo que de [Rachid] et de [Ahmed]« . Donc, dans deux pièces différentes, il n’est question que de Rachid et d’Ahmed et non pas de Rachid et Nouredine. Conclusion du magistrat : « [Nouredine] n’a été interpelé que par hasard. » Un juge qui sous-entend que des policiers ont menti, ce n’est pas si fréquent.

Pourquoi cette notion de « hasard » est-elle importante ? Parce que les policiers n’avaient le droit de contrôler Nouredine que s’ils étaient venus le chercher. En effet, les contrôles “au hasard” ne sont possibles que dans la rue et sur ordre du procureur dans des périmètres limités. Pas au domicile d’une personne ou alors il faut que celle-ci ait commis une infraction. Ce qui n’est pas le cas de Nouredine. Le juge en déduit donc qu’il ne peut pas « vérifier la régularité de la procédure » et libère Rachid, interpelé en même temps que Nouredine.

« Sombres heures »
Me David Chaigneau, l’avocat de Rachid, va plus loin. Dans ses conclusions remises au JLD, il indique : “Il est évident que le PV signé le 12 janvier 2009 à 10h est un faux, qui n’a pu être rédigé que le lendemain, une fois connu le nom de [Nouredine].” Explication du raisonnement de l’avocat : selon Nouredine, les policiers n’avaient que la photo d’Ahmed et ne cherchaient que lui. Or ils ont trouvé Nouredine et Rachid. Alors comment faire ? Simple : dire qu’ils sont venus chercher ceux qu’ils ont trouvés et donc rédiger le 13 janvier un PV daté du 12 disant qu’ils étaient venus chercher Nouredine et Rachid. Manque de chance ils ont commis deux erreurs : l’erreur de noms entre les PV de 9h et 10h. Mais il y en a une autre (3). Si on en croit le PV de 10h, la préfecture aurait confirmé que Nouredine est en situation irrégulière. Cela paraît difficile alors qu’il sera relâché justement parce que son dossier est à l’étude. Dans un contexte d’objectifs chiffrés « ambitieux » donnés par l’État, les policiers se seraient-ils refusé à repartir bredouilles ? Et donc arrangé quelque peu avec la réalité ? En tout cas, au vu de toutes ces « imprécisions », on comprend que la remise en liberté de Rachid ait été prononcée. Et que Me Chaigneau ait indiqué dans ses conclusions : “Une telle pratique [la dénonciation anonyme], qui rappelle de sombres heures, doit amener le juge des libertés et la détention à un contrôle d’autant plus vigilant qu’en pratique, elle lui interdit tout contrôle sur les actes.” Et pour un cas démontrable comme celui-ci, combien sont-il passés sous silence ?

Éléments troublants
L'entrée de la préfecture à Montpellier (photo : Mj)Reste le rôle joué par la préfecture. Il est très difficile de prouver que c’est la préfecture qui a dénoncé Ahmed. Mais on peut s’interroger sur plusieurs éléments troublants. Dans le PV de 9h, celui où les policiers lancent l’enquête, ils indiquent les éléments recueillis par la dénonciation : nom, prénom, adresse. Jusque-là, ça reste possible. Mais ça continue : date et même lieu de naissance ! Sacré informateur qui dispose du lieu de naissance de la personne qu’il dénonce. Et puis il y a l’adresse. Bizarrement c’est celle qui a été donnée par Ahmed dans son dossier de demande de régularisation déposé à la… préfecture. Évidemment Ahmed est domicilié à cette adresse mais il n’y habite pas. Et on le comprend un peu à la lumière de ces évènements. Quant à Nouredine et Rachid, ils ne sont pas domiciliés là. Ils n’étaient que de passage. Décidément, ils sont forts ces policiers de les avoir cueillis le jour où ils y étaient. Ou alors, c’est le “hasard” comme l’a indiqué le JLD et donc ils n’avaient pas le droit de les contrôler. Notons également que la notification d’obligation à quitter le territoire français (OQTF), reçue par Ahmed, portait la mention manuscrite “Copie à la PAF” (police aux frontières). Rappelons enfin que d’autres sans-papiers, soutenus par la Coordination et qui ont déposé un dossier en préfecture, ont aussi reçu la visite de la police à l’adresse mentionnée dans leur dossier. La coordination, dans son communiqué, a donc tenu à réaffirmer : “Si les sans-papiers déposent des dossiers à la préfecture, c’est dans l’espoir d’être régularisés et non pas dénoncés.”

Et quelle publicité à cette affaire ? Rien dans les médias malgré le communiqué de la Coordination diffusé le 16 janvier. Il faut dire que cela a commencé avec l’audience qui s’est tenue à huis clos… dans le bureau du JLD ! Et pourquoi, alors qu’une trentaine de personnes étaient venues soutenir Rachid et assister à l’audience ? “Pour éviter tout trouble à l’ordre public et risque d’évasion en l’absence de salle d’audience disponible sécurisée permettant l’accueil du public, notre bureau ne répondant pas à ces conditions.” Ah bon ? Tout d’abord, y-a-t-il des précédents de trouble à l’ordre public dans ce type d’affaires à Montpellier ? À notre connaissance, non. Et puis l’argument de la sécurisation ne tient pas, comme l’indique Me Chaigneau, puisqu’au tribunal administratif, alors qu’il n’y a pas ce genre de dispositif, les audiences concernant des étrangers en situation irrégulière se tiennent quand même. Dans ce cas, il y avait donc 7 salles utilisables. À condition, par exemple, de faire patienter quelques litiges entre bailleurs et locataires, pour laisser l’audience de Rachid se tenir publiquement. Le JLD n’a pas choisi cette possibilité. Ce huis clos est d’autant plus regrettable que les personnes présentes auraient sans doute été intéressées d’entendre les débats et, en particulier, la position du représentant de la préfecture dans cette affaire. Et d’écouter la lecture de ces PV d’anthologie.

► Voir aussi la position de Claude Baland, le nouveau préfet qui a pris ses fonctions lundi.

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________________
(1) C’est la Coordination des comités de soutien qui raconte dans un communiqué diffusé 12 heures après la descente de police. Le collectif précise, par ailleurs :“Ces contrôles à domicile sont extrêmement traumatisants. Certains sans-papiers n’ont pas hésité à se jeter par la fenêtre à la vue de policiers. Dans l’Hérault, il semble que la police renoue avec ces pratiques détestables. À l’heure où Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, se vante d’avoir dépassé son quota d’expulsion en 2008, les fonctionnaires de notre département veulent-ils avoir leur part des félicitations ministérielles ?”
(2) Les prénoms et noms des personnes sans-papiers ont été remplacés par de simples prénoms.
(3) Ce point n’était pas abordé dans le précédent papier.


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2 commentaire(s)

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  1. hicham said
    on 28 janvier 2009

    à 11 h 54 min

    bonjour je suis sans papier
    je suis on france de p. 2003
    j une visa d

  2. Ju said
    on 30 janvier 2009

    à 5 h 39 min

    Membre du RESF de Sète, depuis quelques années, je les suis à distance aujoud’hui. J’nnonce juste au passage la grosse manif contre la rétention administrative qui se déroulera à Sète ce samedi !
    Bougez bougez !