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Le Jeudi 22 janvier 2009 à 17:39

Sans-papiers : "Le PV est un faux"


C’est ce qu’a dit Me David Chaigneau, avocat, devant le juge des libertés (JLD) et de la détention. Ce dernier n’est d’ailleurs pas en reste. Certes le JLD utilise un langage moins direct que le défenseur de Rachid. Mais il écrit quand même que le ou les auteurs des PV d’enquête sur cette personne sans-papier, n’ont pas dit la vérité. Cette affaire met aussi en évidence la dénonciation, par la préfecture, dont pourraient être victimes des étrangers en situation irrégulière. Et la Coordination des comités de soutien aux sans-papiers de s’interroger sur des « pratiques douteuses ». Cerise sur le gâteau : l’audience s’est déroulée à huis clos.

[Cet article a été réécrit car il ne me semblait pas suffisamment clair. Le titre en est Les dérives d'une politique du chiffre]

(photo : Mj)« Il est évident que le PV signé le 12 janvier 2009 à 10h est un faux. » C’est ce qu’indique Me David Chaigneau dans ses conclusions remises au juge des libertés et de la détention (JLD) de Montpellier. Philippe Treille devait statuer, le 15 janvier, sur le maintien en rétention de Rachid (1), à Sète, après son interpellation le 13 janvier au petit matin.

« Sombres heures »
Et le juge a suivi l’avocat ! En effet, dans ses conclusions, le JLD écrit : « [...] ces imprécisions ne permettent pas au juge des libertés et de la détention de vérifier la régularité de la procédure [...]«  Rachid a donc été libéré. La Coordination des comités de soutien aux sans-papiers, dans un communiqué diffusé le lendemain, se dit d’abord soulagée. Mais s’interroge aussi sur des « pratiques douteuses » et réaffirme : « Si les sans-papiers déposent des dossiers à la préfecture, c’est dans l’espoir d’être régularisés et non pas dénoncés. » Me Chaigneau, dans ses conclusions, indique pour sa part : « Une telle pratique [la dénonciation anonyme], qui rappelle de sombres heures, doit amener le juge des libertés et la détention à un contrôle d’autant plus vigilant qu’en pratique, elle lui interdit tout contrôle sur les actes. »

Dénonciation présumée de la préfecture, faux PV des policiers. Cela mérite qu’on s’y attarde. Pour cela, il faut revenir à ce mardi 13 janvier à 6h15. « Six policiers en civil tambourinent à la porte d’un appartement » (2), raconte la Coordination, dans un communiqué diffusé 12 heures après la descente de police. Nouredine ouvre. Les policiers lui montrent une photo d’une personne sans-papier qu’ils recherchent : Ahmed. Ils lui demandent s’il le connait. « Oui, comme ça mais il n’est pas là », répond en substance Nouredine. C’est alors que les policiers lui demandent ses papiers. Nouredine est lui aussi sans-papiers, du coup les policiers le prennent, croient-ils (3), en flagrant délit de séjour irrégulier et pénètrent dans l’appartement. Ils tombent alors sur Rachid qui est dans la même situation. Après avoir fouillé l’appartement, les policiers repartent avec Rachid et Nouredine. Rappelons qu’ils étaient venus chercher Ahmed et seulement lui.

Antidaté
Sauf que, si cela s’est bien passé comme ça, il y a un petit problème : une interpellation dans de telles conditions avait de fortes chances d’être annulée. En effet, les policiers ne pouvaient pas contrôler Nouredine puisque ce n’est pas lui qu’ils étaient venus chercher. Les contrôles « au hasard » ne sont possibles que dans la rue et sur ordre du procureur dans des périmètres limités. Pas au domicile d’une personne ou alors il faut que celle-ci ait commis une infraction. Ce qui n’est pas le cas. Comment faire ? Simple : faire un PV antidaté où on indique qu’on n’était pas venu chercher Ahmed mais Rachid et Nouredine. C’est ce qu’indique Me Chaigneau, défenseur de Rachid, dans ses conclusions : « Il est évident que le PV signé le 12 janvier 2009 à 10h est un faux qui n’a pu être rédigé que le lendemain une fois connu le nom de [Nouredine]. [Nouredine] confirme que l’interpellation ne s’est pas passée comme le prétendent les enquêteurs dans le PV d’interpellation puisque ceux-ci ne cherchaient, selon lui, que [Ahmed]. »

Comment l’avocat peut-il en arriver à écrire cela ? C’est que les policiers ont commis au moins une erreur. Dans leur PV rédigé à 9h le 12 janvier qui consigne le lancement de l’enquête suite à une dénonciation téléphonique d’un informateur qui souhaite rester anonyme, il est question de Rachid et d’Ahmed. Puis à 10h, nouveau PV. Les policiers y consignent le résultat de leurs vérifications auprès de la préfecture : celle-ci confirme le séjour irrégulier pour Rachid et… Nouredine ! Et voilà l’erreur. Les policiers disent à 9h que Rachid et Ahmed ont été dénoncés et à 10h que la préfecture confirme pour Rachid et Nouredine au lieu de Rachid et Ahmed. Il est donc logique que le JLD conclue « que [Nouredine] n’a été interpelé que par hasard puisque, dans le PV d’interpellation, les services de police précisent bien qu’ils n’avaient la photo que de [Rachid] et de [Ahmed] (4)« . Le juge dit donc ne pas pouvoir « vérifier la régularité de la procédure » et libère Rachid. Il contredit donc aussi explicitement la version des policiers qui prétendent être venus chercher Nouredine alors que, pour le JLD, ils l’ont interpelé « par hasard ». Un juge qui sous-entend que des policiers ont menti, ce n’est pas si fréquent. Et pour un cas démontrable comme celui-ci, combien d’autres indémontrables ?

La préfecture de Montpellier (photo : Mj)

Éléments troublants
Restent le rôle joué par la préfecture. Il est très difficile de prouver que c’est la préfecture qui a dénoncé Ahmed. Mais on peut s’interroger sur plusieurs éléments troublants. Dans le PV de 9h, celui où les policiers lancent l’enquête, ils indiquent les éléments recueillis par la dénonciation : nom, prénom, adresse. Jusque-là, ça reste possible. Mais ça continue : date et même lieu de naissance ! Il va falloir vraiment commencer à s’inquiéter si, dans ce pays, les délateurs ont des fiches administratives détaillées sur les gens qu’ils balancent. Et puis il y a l’adresse. Bizarrement c’est celle qui a été donnée par Ahmed dans son dossier de demande de régularisation déposé à la… préfecture. Évidemment Ahmed est domicilié à cette adresse mais il n’y habite pas. Et on le comprend un peu à la lumière de ces évènements. Quant à Nouredine et Rachid, ils ne sont pas domiciliés là. Ils n’étaient que de passage. Décidément, ils sont forts ces policiers de les avoir cueillis le jour où ils y étaient. Ou alors, c’est le « hasard » comme l’a indiqué le JLD et donc ils n’avaient pas le droit de les contrôler. Notons également que la notification d’obligation à quitter le territoire français (OQTF), reçue par Ahmed, portait la mention manuscrite « Copie à la PAF » (police aux frontières). Rappelons enfin que d’autres sans-papiers, soutenus par la Coordination et qui ont déposé un dossier en préfecture, ont aussi reçu la visite de la police à l’adresse mentionnée dans leur dossier.

Et quelle publicité à cette affaire ? Rien dans les médias malgré le communiqué de la Coordination diffusé le 16 janvier. Il faut dire que cela a commencé avec l’audience qui s’est tenue à huis clos… dans le bureau du JLD ! Et pourquoi, alors qu’une trentaine de personnes étaient venues soutenir Rachid et assister à l’audience ? « Pour éviter tout trouble à l’ordre public et risque d’évasion en l’absence de salle d’audience disponible sécurisée permettant l’accueil du public, notre bureau ne répondant pas à ces conditions. » Ah bon ? Tout d’abord, y-a-t-il des précédents de trouble à l’ordre public dans ce type d’affaires à Montpellier ? À notre connaissance, non. Ensuite, au palais de justice, il y a deux salles d’audience sécurisées. Et puis l’argument de la sécurisation ne tient pas, comme l’indique Me Chaigneau, puisqu’au tribunal administratif, alors qu’il n’y a pas ce genre de dispositif, les audiences concernant des étrangers en situation irrégulière se tiennent quand même. Donc ce ne sont plus 2 salles mais 7 qui étaient utilisables. Et, dans ce cas, ne pouvait-on pas faire patienter quelques litiges, par exemple entre bailleurs et locataires, pour laisser l’audience de Rachid se tenir publiquement ? Non, a répondu le JLD. Me Chaigneau a aussi soulevé ce moyen pour obtenir la libération de Rachid. Sans surprise le JLD qui avait pris la décision du huis clos – donc juge et partie dans cette affaire – a rejeté le moyen de l’avocat. Ce huis clos est d’autant plus regrettable que les personnes présentes auraient sans doute été intéressées d’entendre les débats et, en particulier, la position du représentant de la préfecture dans cette affaire. Et d’écouter la lecture de ces PV d’anthologie.

► Voir aussi la position de Claude Baland, le nouveau préfet qui a pris ses fonctions lundi.

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(1) Les prénoms et noms des personnes sans-papiers ont été remplacés par de simples prénoms.
(2) Sur ce point la coordination précise : « Ces contrôles à domicile sont extrêmement traumatisants. Certains sans-papiers n’ont pas hésité à se jeter par la fenêtre à la vue de policiers. Dans l’Hérault, il semble que la police renoue avec ces pratiques détestables. À l’heure où Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, se vante d’avoir dépassé son quota d’expulsion en 2008, les fonctionnaires de notre département veulent-ils avoir leur part des félicitations ministérielles ? »
(3) Nouredine sera ensuite relâché car son dossier de demande de régularisation est toujours en cour d’étude à la préfecture.
(4) Selon la Coordination, les policiers n’avaient que la photo d’Ahmed.


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