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Le Dimanche 11 décembre 2016 à 8:26

« La subversion c’est de conjuguer le bonheur, non ? »


On reprend la route pour aller mieux découvrir Najac (Aveyron), ses habitants et ses environs. On devrait aussi repasser à Chanteix (Corrèze) et à Eymoutiers (Haute-Vienne). En attendant, parlons un peu plus de quelques personnages attachants et drôles. (2 390 mots)

La gare de Najac dans "Y'a pire ailleurs" de Jean-Henri Meunier (copie d'écran)

« Il m’avait fait pénétrer dans un univers tendre et lumineux où Jacques Tati aurait pu croiser Marcel Pagnol, et Jean Vigo en route pour une virée chez John Steinbeck. [...] Ce que je venais d’entrevoir était si riche de bonheur simple et d’humanité vraie qu’il m’apparaissait impossible de ne pas m’y plonger tout entier. C’était comme de sauter à pieds joints dans une enfance miraculeusement retrouvée. » Ainsi parle le monteur, Yves Deschamps en 2006, à propos de la magnifique « trilojie najacoise » de Jean-Henri Meunier.

Présenté à Cannes
Qui peut se regarder comme une série. Dans La vie comme elle va (2003) puis Ici Najac à vous la terre (2005) et Y’a pire ailleurs (2011), on fait la connaissance de personnages attachants qu’on prend plaisir à retrouver à chaque nouvel épisode. Et ces trois films, dont le deuxième a été présenté à Cannes en 2006 (hors compétition) et nommé aux Césars, sont accessibles gratuitement sur vimeo.com.

Le réalisateur explique son choix au micro d’Alexandre Héraud dans l’excellente émission Il existe un endroit sur France Inter (octobre 2014, vers 2’55) : « J’ai gagné ma vie tant bien que mal mais plutôt à la coule, en tout cas en faisant ce que j’avais envie de faire, en faisant mes films et grâce au statut des interminables du spectacles. Et c’est bon, quoi, pourquoi toujours passer à la caisse ? Vimeo m’a relancé ou d’autres gens m’ont dit :  ’Mais fais payer, 1 € ou je sais pas quoi.’ Je dis : non, c’est gratuit. Je paye pour qu’ils soient gratuits, 100 balles par an, je peux encore les donner. Et du coup, les films circulent. Et ça, ça me fait plaisir. C’est fait pour ça. C’est aussi pour lutter contre ces vendeurs de DVD, ces distributeurs qui sont, pour la plupart, des gros arnaqueurs. […] Quand ils vendent des DVD 19,90 €, tout le monde se partage et le cinéaste qui a fait le film, lui il a rien ou 10 centimes. Alors je préfère les envoyer chier et mettre tout gratuit. »

« La vie comme elle va »
Pendant plusieurs centaines d’heures, Jean-Henri Meunier a filmé ses voisins, ses amis, des habitants de Najac, surtout des hommes. Mais « la vie comme elle va », c’est aussi « de l’aventure, du mystère, de l’action, de la science, de la technologie, du suspense, de l’amour, du surnaturel » comme le proclame la bande annonce de Y’a pire ailleurs :

Comme acteur principal du quotidien, on rencontre Henri Sauzeau, « monsieur Sauzeau » comme l’appelle Jean-Henri Meunier. « Le poète de la mécanique. » Un retraité plus tout jeune mais encore hyper actif, toujours affairé autour de ses carcasses de voitures, tracteurs et avec mille projets en tête. Comme ce girocoptère autoconstruit qu’une habitante dit avoir vu décoller d’un mètre du sol. Sa philosophie ? « Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Je vais avoir mon atelier. Je vais avoir mon camion grue. Je vais avoir l’hélicoptère. Peut-être l’avion. Alors y’a pas de raison. Tu le veux, t’as qu’à te démerder à travailler. T’es malade, tant pis pour toi. » Son atelier ? Il le présente ainsi : « Ici y’a de tout, sauf le pognon. »

À la seule force de ses bras et de son ingéniosité
Sa réalisation la plus impressionnante reste le déplacement sur plusieurs dizaines de mètres d’un tour de 1 200 kg avec un dispositif pensé et réalisé par lui-même. À peine fait-il appel à la voiture d’un de ses amis pour l’aider à tracter l’engin avant de terminer le travail à la seule force de ses bras et de son ingéniosité (ici vers 1h02). « Si j’avais des sous, j’aurais planté des choux. Pour avoir des sous. » Il y aussi son projet d’agrandir son atelier. Mais pour cela il faut creuser la terre sur 8 mètres et évacuer les pierres à la brouette.

Mais cela n’effraie pas celui qui a construit sa piscine lui-même moyennant le déblaiement de « 3 884 brouettes » de terre. À peine lâche-t-il : « Faut prendre la vie comme elle est, tu sais, avec ces putains de cailloux. » La méthode de l’octogénaire pour conduire une brouette pleine dans une descente sans se faire emporter avec elle ? Il la pose et la laisse traîner (ici vers 28′). Sa devise ? « Vouloir c’est pouvoir. » Une coupure au doigt ? « Ça guérit vite quand même. Du mazout, de l’essence, un chiffon autour. J’ai pas de plaie. Je les soigne toutes comme ça. »

« La même proportion de cons qu’ailleurs »
Autre acteur du quotidien : Jean-Louis Raffy, dit « jean » ou « le retraité à la coule ». Philosophe à ses heures : « Y’a à peu près la même proportion de cons qu’ailleurs sauf qu’ici c’est joli. » Mais aussi écolo-botaniste-altermondialiste : « Je suis de plus en plus convaincu que tu ne peux te relier à l’universel, aux problèmes de la planète qu’en t’occupant de ce qui se passe sur place. »

Comment a-t-il débarqué à Najac ? Il explique dans un long et franc éclat de rire : « J’ai été répudié par ma compagne ! Et puis j’ai demandé à l’assistante sociale si elle connaissait un logement disponible et puis il y ‘avait celui-là. J’ai trouvé assez vite. J’ai jeté mon sac ici un peu par hasard. Ceci dit, si j’avais su, je serais venu dix ans plus tôt. C’est une autre façon de vivre, je préfère celle-ci, quand même. J’ai pas de contrainte, je suis materné par les services sociaux. Et voilà. Je mange à ma faim, je bois du bon vin. Je ne sais pas comment font les autres, ma retraite je ne l’imaginais pas du tout. Il a fallu que j’ai le nez dedans pour m’apercevoir que j’étais en retraite. Bon, j’ai eu le temps de me préparer : j’ai été plusieurs années au chômage avant d’être en retraite donc tu t’entraînes. Après tu te dis merde mais y’a des fleurs, y’a des oiseaux, comment j’ai pu vivre sans eux ? »

En Palestine avec les paysans sans terre
Il y aussi Henri Dardé, « le paysan voyageur ». Il part en Bosnie avec un Picolo le clown faire des spectacles pour les enfants dans les hôpitaux, les orphelinats. Ou en Palestine pour défendre les paysans sans terre, en bon militant de la Confédération paysanne qu’il est. Son côté militant, on le retrouve dans la troisième émission de France inter sur Najac (ici). Il raconte qu’il s’est associé avec un autre paysan. « Mon but, c’est d’installer des jeunes. C’est pas simple mais si on n’essaye pas, ces jeunes-là ne pourront pas s’installer car, la plus grosse difficulté, c’est l’accès au foncier, aujourd’hui, pour les néo-ruraux. »

Cet éleveur a son idée sur le monde comme il va : « L’animal est devenu un produit, un support. Il n’est plus considéré comme un être vivant. Comme le sol, aujourd’hui, dans l’industrialisation agricole, c’est devenu un support alors que c’est un milieu vivant. À partir du moment où tu ne respectes plus ça, c’est la fuite en avant. »

« 3-4 % de paysans en agriculture biologique »
Comment faire en sorte que le bio se généralise ? « Sur l’Aveyron, aujourd’hui, on est 3-4 % de paysans en agriculture biologique mais les mentalités changent. C’est le citoyen qui va faire changer la mentalité des paysans parce que ce sont eux qui ont le pouvoir de poser des questions qui permettent une prise de conscience. Notamment sur les marchés. Je dis aux consommateurs : « Posez des questions : Est-ce que vous mettez des engrais ? Des produits chimiques ? » Et quand on pose ces questions-là, le producteur en face ne peut pas botter en touche. À des moments, ça le met mal à l’aise. Il ne se sent pas tout le temps en phase avec ce qu’il fait. C’est comme ça que les mentalités changent, aussi. »

Mais il n’a pas été toujours convaincu. C’est la rencontre avec un paysan-boulanger qui l’a fait évoluer. « J’ai fait une école agricole. Il ne me reste rien de ce qu’on m’a appris. Mais rien. Absolument rien. Ce sont des rencontres avec d’autres gens comme Serge Itkine qui m’ont ouvert à d’autres visions de l’agriculture. » Serge Itkine, « le paysan par philosophie », qui fauche à la main, rameute ses amis pour battre le grain avec une vieille machine à vapeur alimentée au bois. Le tout, bien sûr, sous l’œil avisé d’Henri Sauzeau (à voir ce moment magique vers 47′) :

Dans "La vie comme elle va" de Jean-Henri Meunier (copie d'écran)

« Paysan c’est une vie »
Il a son avis sur son activité : « Le paysan, c’est celui qui façonne le paysage. Par son travail. Agriculteur, c’est déjà plus un métier tandis que paysan, c’est une vie. Ça fait partie de la vie. Je ne le vois pas comme une entreprise. Moi je suis plutôt… enfin j’essaye d’être paysan. » Jean-Henri Meunier se souvient, toujours sur France Inter : « Y’a des gens de la FNSEA [syndicat de gros exploitants agricoles conventionnels], des gros salopards qui m’agressaient dans les salles : ‘Mais vous croyez pas que c’est avec des paysans comme ça qu’on va nourrir la France ? Et de toute façon, c’est d’un autre âge.’ Mais non, c’est pas d’un autre âge, c’est aujourd’hui que ça se passe. Je viens de finir le film. »

Il y aussi Simone Dardé, « la fermière » et mère d’Henri qui nourrit les poulets, gave les oies. En quatre phrases aux R roulant, elle résume : « La basse-cour, ça vivote. Le matin, je les sors, je leur donne un peu de grain et le soir je les rentre. Je ferme la porte et puis voilà. Et après quand c’est près, on les zigouille et on les mange. » Éclat de rire puis démonstration à l’appui.

Une centenaire qui chante l’Internationale
Même si les femmes ne sont pas très présentes, on découvre aussi Céline Causse, une centenaire qui chante l’internationale (ici vers 22’20) ou encore Dominique Saouly, « l’empêcheuse de tourner en rond » qui subit parfois les avances de Christian Lombard, « le rêveur maladroit ». Pour qui la vie n’est pas toujours rose : « Si je n’avais pas mon chien, je serai seul complètement. C’est pas spécialement un choix. Plus tu t’enfermes dans un village… Vu le coefficient de nanas établies et le nombre de mecs qu’il y a, si tu rates celles qui passent pendant l’été, c’est rappé pour l’hiver. Comme disait Coluche dans Tchao pantin : ‘À la fin, tu te retrouves à faire l’amour avec toi-même.’ »

Mais deux épisodes plus loin, la roue a tourné : « Heureusement, y’a une fille, elle est plus petite que moi, elle fait le tiers de mon poids, elle m’a vu à la télé, elle est tombée amoureuse. Maintenant je suis obligé d’être sérieux. »

Pêche, sieste, golf sur ordinateur
Sans oublier, Arnaud Barre, « chef de gare », à la coule lui aussi. Dont il a déjà été question dans un précédent billet (ici). Il pêche, il fait la sieste, joue au golf sur l’ordinateur censé délivrer des billets de train – ce qui le laisse rêveur – aide un ami à réparer sa voiture puis courre mettre sa casquette de chef de gare quand retentit le klaxon du train qu’il semble avoir oublié.

Et c’est au micro de France inter qu’il explique pourquoi on le voit souvent rythmer « un temps qui semble un peu suspendu » : « Oui mais vous voyez le lieu dans lequel se trouve la gare, il aurait été un peu anachronique de galoper partout, d’être « speedé » pour employer un mot franglais. Non, ça correspondait tout à fait à l’atmosphère du lieu. Et puis personne ne s’en plaignait. »

« Normes européennes »
Maintenant, il n’y a plus de chef de gare à la gare de Najac qui a été « transformée par les normes européennes ». Arnaud Barre se souvient : « Au début quand je suis arrivé, je faisais des décorations pour le ski, pour Noël, je mettais des jeux pour les enfants. Aujourd’hui, c’est interdit. Faut que ça soit normalisé. Chaque mois, vous avez des campagnes d’affichage réglementaires,… » Le journaliste demande si c’est la mondialisation qui a fini par arriver. « Oui. On se disait un endroit protégé, eh bien non. Mais bon ils auraient pu faire quelque chose un peu plus synchro avec la vie qu’on a ici. » Surtout quand il est question de code à flasher avec son smartphone pour obtenir les horaires ou d’aller les consulter avec un ordinateur sur Internet. Comme si à Najac tout le monde avait un smartphone…

Il y a aussi des scènes drôles voire hilarantes. Par exemple lorsque Christian Lombard essaye de rentrer trois moutons dans un garage. À ne pas manquer (ici vers 7′). Ou cette scène de pêche qui vire aux acrobaties. Presque un cauchemar si les protagonistes n’en profitait pas pour se payer une bonne tranche de rigolade (ici vers 10′).

Dans "La vie comme elle va" de Jean-Henri Meunier (copie d'écran)

Comme « un film de famille »
C’est donc Jean-Henri Meunier qui a filmé pendant des années ces personnages atypiques. Il raconte à France Inter d’une voix grave qui trahit un passé fêtard, comment tout a commencé : « Un ami m’avait prêté une petite caméra D8, j’ai commencé à filmer mon plus proche voisin. » C’était Henri Sauzeau, « ce monsieur qui [lui] a tant donné ». « Pour moi au départ, c’est comme si je faisais un film de famille. » Dans la première émission consacrée à sa biographie, il raconte comment Serge Gainsbourg a accepté de faire la musique d’un de ses films en 1976. Il ne le connaissait pas mais il avait débarqué chez lui en début d’après-midi alors que « Jane prenait son breakfast ». « D’une gentillesse… La grande classe. Il a tout payé, les musiciens, les studios et il m’a offert les masters et il m’a dit : ‘Tiens, gamin, cadeau.’ La classe. » (ici vers 7’15)

France inter lui parle « coin de paradis ». Il répond : « C’est les humains souvent qui font ça. Les humains m’ont toujours plus attiré que les pierres. En même temps, j’aime bien les cailloux. Et les arbres, et la nature mais c’est quand même les humains prioritaires. » Et au départ, il y avait une ruine achetée 4 500 €. « On voulait y faire une cabane et venir l’été sur ce terrain. Et puis très vite après, on s’est dit : ‘On va s’y installer.’ » Et une vingtaine d’années plus tard, il interroge : « La subversion, c’est de conjuguer le bonheur, non ? »

Voir aussi :

Les trois émissions de France Inter d’octobre 2014 :

Les trois films :

Et sur Montpellier journal :


Publié dans Campagne.

5 commentaire(s)

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  1. alainb said
    on 11 décembre 2016

    à 9 h 16 min

    merci pour la (re) découverte de Jean-Henri Meunier, je ne connaissais de lui que la bande du Rex.
    Et bonne route.

  2. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 11 décembre 2016

    à 9 h 41 min

    Pour en savoir plus sur lui, la première émission de France inter est vraiment très bien.

  3. alainb said
    on 11 décembre 2016

    à 11 h 24 min

    merci, mais impossible d’écouter le streaming, ça ne charge pas :(

  4. alainb said
    on 11 décembre 2016

    à 14 h 55 min

    merci, ça marche :)