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Le Vendredi 8 juillet 2016 à 13:05

Midi Libre relaie sans distance la thèse policière d’un prétendu « indic »


Le journaliste Jean-François Codomié n’est pas connu pour mettre une grande distance entre les positions policières et ses articles. Mais dans l’affaire de Jules, militant condamné pour menace de mort sur un policier des renseignements, il n’a pas fait dans la dentelle. Quant à la procédure et au verdict, ils sont pour le moins étonnants. Du moins pour ceux qui feraient toujours confiance à la justice. (2 080 mots)

Par Jacques-Olivier Teyssier

Titre de l'article de Midi Libre du mardi 5 juillet 2016

On a beau savoir que lorsqu’un policier dit une chose, beaucoup de journalistes de Midi Libre le prennent pour argent comptant, on n’en est pas moins toujours surpris quand on lit certains articles. Comme celui du 5 juillet de Jean-François Codomié, journaliste justice du quotidien, prétendant faire le compte-rendu d’une audience de comparution immédiate du lundi 4 juillet concernant Jules, militant de 23 ans très actif notamment dans les manifestations contre la loi travail ces derniers mois.

« Bientôt tu es mort ! »
Il y a d’abord les faits sur lesquels toutes les personnes interrogées par Montpellier journal dont Florence Rosé, l’avocate de Jules, et deux présentes à l’audience sont tombées d’accord. Un message vocal de menaces est laissé sur le portable de Mickaël, un policier du Service central du renseignement territorial (ex renseignements généraux, lire ici l’historique) dans la nuit de la fête de la musique du 21 au 22 juin, vers 2h du matin. Le message est émis par un portable utilisé régulièrement par Jules et enregistré au nom de son père. Il dit : « Bientôt, tu es mort ! Je baise ta femme et je viole tes enfants ! »

Cette nuit là, Jules est alcoolisé. Le lendemain, il envoie des textos d’excuses aux personnes destinataires de messages émis pendant la nuit depuis son téléphone. Selon Florence Rosé qui cite de mémoire, le texto de Jules disait : « Un petit con s’est amusé avec mon téléphone hier soir, désolé de ce qui a pu être dit. » Jules a, en revanche, contesté avoir proféré les menaces lors de l’audience et lors de ses auditions.

Message non diffusé à l’audience
Cette affaire est l’occasion d’observer une justice expéditive à l’œuvre : le message vocal n’a pas été diffusé à l’audience. La voix de Jules a été authentifiée par Mickaël le policier et, selon ce dernier, par deux de ses collègues qui, selon Florence Rosé, « ne sont ni identifiés formellement ni entendus ». Ce serait donc les seules déclarations du menacé qui auraient été utilisées pour identifier le prétendu auteur des menaces. Une enquête sacrément rigoureuse.

Le tribunal, présidé par Laurent Fabre, a quasiment suivi les réquisitions du procureur (2 mois ferme + 2 mois avec sursis avec mandat de dépôt) et condamné Jules à deux mois de prison… ferme. Avec mandat de dépôt. Interpellé par la police vendredi 1er juillet – soit dix jours après le message de menace de mort donc – Jules a été placé en détention provisoire dimanche en attendant l’audience puis est reparti en prison lundi soir après le prononcé du verdict.

Conditionnel ou indicatif ?
Avant de revenir sur ce jugement, voyons maintenant ce qu’a écrit Jean-François Codomié dans Midi Libre. Ça commence dès le titre avec l’emploi du conditionnel « aurait menacé » alors que dans l’article, le journaliste utilise l’indicatif : un message « envoyé par Jules ». On ne sait trop quelle version doit choisir le lecteur. De plus, selon toutes les personnes interrogées par Montpellier journal, le message de menaces était précédé d’une phrase qui disait notamment : « Je ne suis pas Jules Panetier. » Un point que le journaliste de Midi Libre n’a pas mentionné. Ni le fait que l’authentification certaine d’une voix est impossible (lire ici).

Toujours dans le titre, Jules est qualifié d’ « indic » du policier. Puis dans l’article : « On apprend qu’il était l’indic de ce fonctionnaire depuis quelque temps. » Mais d’après les personnes présentes à l’audience, cette information reposerait uniquement sur le fait que Jules avait le numéro de Mickaël et sur les affirmations de ce dernier. Un peu léger pour écrire à trois reprise que Jules était un « indic ». D’autant que le policier en question distribue largement sa carte de visite aux participants des manifestations comme Montpellier journal avait pu le constater en octobre 2010 lors d’une manifestation lycéenne (lire ici) :

Carte de visite de Mikaël, policier des renseignements à Montpellier

Semer le trouble voire le doute
Qualifier un militant d’indic n’est pas neutre. Surtout qu’on ne comprend pas trop en quoi cette pseudo information a été jugée importante par le journaliste pour la compréhension de l’affaire. L’intérêt des institutions politiques, administratives et policières est en revanche évident : semer le trouble voire le doute parmi les militants. Qui ne semblent pas pour autant dupes puisque aucune personne contactée ne croit à cette thèse et que le soutien, notamment financier, s’organise en faveur de Jules.

Midi Libre et Jean-François Codomié ont choisi de relayer cette thèse visiblement sans élément sérieux alors qu’arriver en prison avec une étiquette d’indic quand le détenu a 23 ans, est de petite corpulence et ne connaît rien à cet univers, n’est sans doute pas le meilleur cadeau qu’on pouvait lui faire.

« Gravité des propos que j’ai tenus »
Jean-François Codomié fait également état d’un échange entre le président Fabre et Jules. Le juge déclare : « Vous dites [« en garde à vue », note de Midi Libre] : ‘Je ne nie pas la gravité des propos que j’ai tenus.’ » Interrogée sur ce point par Montpellier journal, Florence Rosé répond : « Ces déclarations se trouvaient sur le procès verbal de l’audience devant le juge des libertés et de la détention du dimanche et faisaient suite à d’autres déclarations indiquant qu’il n’avait pas tenu ces propos et que ce n’était pas sa voix, ce que j’ai d’ailleurs souligné à l’audience. Il s’agit donc d’une erreur à mon sens. » Une information non communiquée par Midi Libre. On voit bien ici l’intérêt de bien relire un procès verbal d’audition, de le faire corriger par le policier qui le rédige voire de ne pas le signer. Ou de se taire lors des auditions.

Moins gênant pour l’information mais plus pour le lecteur, un long passage de l’article pourtant court est par ailleurs incompréhensible. Celui débutant à « naviguant » et finissant à « la normale » (lire l’article).

Comparution immédiate
Reste maintenant la question du verdict et de la procédure qui ont surpris – un euphémisme – l’avocate de Jules. Elle s’étonne déjà de la comparution immédiate alors que la justice aurait très bien pu, selon elle, compte tenu de l’absence de casier judiciaire et de sa personnalité, choisir une convocation par officier de police judiciaire et relâcher Jules dès le samedi après-midi. Dans ce cas, le procès aurait été fixé à une date ultérieure et Jules aurait comparu libre.

« Je pense que je ne suis pas la seule à m’étonner de la peine. Quand bien même, il n’y aurait pas de relaxe, sur un casier judiciaire néant, avec quelqu’un qui a un contrat de travail, qui a des diplômes, je trouve ça très étonnant qu’on ait une peine de prison ferme avec un mandat de dépôt », déclare l’avocate. Car c’est bien la peine avec mandat de dépôt qui a entraîné l’incarcération alors que dans bien des affaires, pour des condamnations inférieures à 6-9 mois ferme, les peines sont aménagées et les condamnés ne sont pas incarcérés.

Un mois avec sursis pour menace de mort sur F. Hollande
De plus, une recherche rapide sur des condamnation pour menaces de mort – parfois reconnues – sur des policiers voire même sur le président de la République, montre qu’il existe des jugements plus cléments même avec des réquisitions du procureur de même nature. Un mois avec sursis pour des propos visant François Hollande (ici), trois mois avec sursis pour « conduite en état d’ivresse, outrage et menace de mort envers des policiers » (Nicolas Bedos, ici), six mois avec sursis pour « apologie du terrorisme et menace de mort » visant des pompiers (ici).

On a aussi trouvé deux mois de prison ferme plus quatre avec sursis pour une personne ayant une « dizaine de condamnation » dont une de vingt ans pour meurtre et qui aurait déclaré : « Je vous retrouverai et vos femmes et vos mères, je les baiserai avant de les tuer ! » (ici) Pas vraiment le profil de Jules même s’il ne cachait pas, sur les réseaux sociaux, son peu de sympathie pour les représentants de l’institution policière et qu’il n’était sans doute pas le dernier à crier dans les manifestations : « Police nationale, police du capital ! » ou « Tout le monde déteste la police ! »

Quatre mois avec sursis pour deux coups de feu
On pourrait également citer un cas que Montpellier journal connaît bien : celui de Jean-François Floch, ce riche patron qui a agressé sexuellement plusieurs de ses salariées et qui l’a reconnu. Verdict après avoir comparu libre, deux ans après l’enquête ? « Dix mois avec sursis. » Exactement ce qu’avait requis le procureur (ici). Ou encore cette histoire plus ancienne où deux viticulteurs qui avaient tiré des coups de feu sur un fourgon occupé par de présumés voleurs après une longue course poursuite, avaient écopé de… 4 mois avec sursis. Exactement la peine requise par le procureur (lire : Pour le procureur Vermeil il est bien plus grave de voler 600 € que de tirer sur un véhicule) « Vous êtes scandaleux, justice de classe ! », aurait lancé Jules au président en entendant sa condamnation.

Cette affaire est aussi intéressante pour prendre conscience de l’absence de véritable voie de recours dans un tel cas même si elles existent en théorie. Refuser la comparution immédiate pour préparer sa défense ? Même si l’avocate a plaidé cette possibilité auprès de son client, avec le recul, elle se dit qu’il aurait eu de fortes chances d’être maintenu en détention en attendant son procès et qu’il aurait sans doute fait « 6 semaines » de détention provisoire. Faire appel ? La décision interviendra nécessairement bien après l’été donc après que Jules aura effectué ses deux mois. Sans compter le risque de prendre une peine plus lourde et de retourner en prison. Qui prendrait ce risque ?

Actualité, politique et justice
L’affaire des deux policiers assassinés à leur domicile le 13 juin en région parisienne aurait été également rappelée à l’audience. Il arrive en effet que l’actualité s’invite dans les salles d’audience. Dès lors, on en vient à se demander si la justice n’appliquerait pas la loi comme les politiques la font c’est-à-dire en réaction à l’actualité. Est-ce prévu dans les textes ? Il est permis d’en douter.

Puisqu’on est dans l’actualité, on peut rappeler que Jules a été très actif parmi une frange radicale des militants mobilisés contre la loi travail, le projet de logements sur un espace vert de Las-Rébès, etc. et qu’il avait été depuis longtemps identifié pour ne pas dire ciblé par les policiers. On peut également rappeler les tensions et affrontements entre policiers et manifestants anti loi travail avec des blessés côté policiers sur médiatisés par rapport aux blessés côté manifestants.

Manuel Valls conspué à Montpellier
Plus récemment, Manuel Valls a été conspué lors de sa venue à Montpellier à l’occasion de l’inauguration de la ligne 4 de tramway le vendredi 1er juillet. Des manifestants bien organisés – dont des connaissances de Jules – ont réussi à perturber l’intégralité de son discours et les médias locaux ont largement rapporté cet événement. Ce qui n’a pas dû plaire au premier des ministres.

On peut enfin s’étonner de l’absence d’information dans les réseaux militants puis de mobilisation lors de l’audience du lundi soit près de trois jours après l’arrestation de Jules. Plusieurs militants très impliqués dans les mobilisations contre la loi travail ont confié à Montpellier journal avoir appris l’affaire après la condamnation de Jules. Une des raisons pouvant l’expliquer serait que certains relais n’ont pas pris très au sérieux l’affaire et ont pu penser que Jules ressortirait avant d’être jugé. La machine judiciaire en a décidé autrement.

Convocation de la police par téléphone
Une autre question à laquelle Jules pourra peut-être répondre à sa sortie de prison, c’est pourquoi ne s’est-il pas organisé alors qu’avant d’être interpellé, il aurait reçu une convocation par téléphone de la police à laquelle il n’aurait pas donné suite demandant une convocation écrite. Aurait-il oublié ou n’aurait-il pas cru que la police pourrait venir le chercher de force ? En tout cas, mieux vaut être prêt pour affronter des institutions puissantes et pas toujours sereines – ne parlons pas d’objectivité – quand il s’agit de juger une affaire impliquant des policiers avec qui les juges travaillent quotidiennement.

Enfin, on ne sait pas comment va se passer la rentrée sociale. En effet, les agents du service de renseignement n’étaient déjà pas toujours les bienvenus dans les assemblées générales et les manifestations. Pas sûr que ce nouvel épisode apaise les tensions entre militants et policiers et que Mickaël, bien connu chez les militants, ne connaisse pas quelques difficultés à effectuer son travail, lui qui s’est porté partie civile – à la demande de sa hiérarchie ? – dans l’affaire.

► Pour écrire à Jules à la prison, des amis ont mis en place cette adresse : soutienjules@gmail.com
Il pourrait avoir besoin de messages de soutien. En effet, l’été n’est pas la période la plus paisible dans les prisons.

[Mise à jour le 8/07 à 16h40 : lire aussi sur le site du NPA34 : "Le scandale : notre camarade Jules a été jeté en prison ..."]

[Màj le 13/07 à 15h15 : lire aussi le communiqué de soutien du NPA34 du 13 juillet et l'article du 10 juillet d'Ensemble. Un "rassemblement sonore" de soutien est prévu le 21 juillet à 19h30 devant la prison de Villeneuve-les-Maguelone.]

[Màj le 4/09 à 17h30 : Jules a rédigé un communiqué après 6 semaines d'incarcération publié le 24 août. Lire ici.]

Lire aussi :


Publié dans Accès libre, Médias, Politique. Mots clés : , , , , , , .

3 commentaire(s)

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  1. AntoineMontpellier said
    on 8 juillet 2016

    à 15 h 09 min

    Merci à Montpellier Journal pour cet article minutieux déconstruisant au plus près ce qu’à l’ AG Populaire Nuit Debout de Montpellier nous qualifions d’arbitraire policier et judiciaire, doublant parfaitement la volonté du gouvernement de « terroriser » les opposants à sa Loi « Travail ». On lira, par le lien ci-dessous, l’hypothèse qu’en ciblant notre camarade Jules, les « pouvoirs » cherchent à discréditer et à délégitimer une AG Populaire Nuit Debout qui est parvenue à occuper une place inédite sur la place de Montpellier tant par les liens tissés avec les syndicats que par la radicalité de ses actions. Comme vous le rappelez justement Valls a récemment fait les frais de ce type d’actions. Jules pourrait bien être l’otage de quelque chose qui dépasse son cas individuel, ce qui n’enlève rien, au contraire, au scandale de sa condamnation : http://npaherault.blogspot.fr/2016/07/montpellier-le-scandale-de-notre.html

  2. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 8 juillet 2016

    à 16 h 44 min

    Merci, je viens d’ajouter le lien au bas de l’article.

  3. AntoineMontpellier said
    on 13 juillet 2016

    à 14 h 24 min

    Solidarité avec Jules. Communiqué du NPA 34.

    http://npaherault.blogspot.fr/2016/07/solidarite-avec-jules.html