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Le Vendredi 24 juin 2011 à 11:11

Un jeune Rom roumain de 19 ans face aux dysfonctionnements de la justice


Prévenu d’avoir donné un coup de pelle à la jambe à un policier, Jiji est en détention provisoire depuis le 25 mai alors qu’il n’a cessé de clamer son innocence. Depuis l’évacuation mouvementée d’un terrain de la Serm le 29 mars à Montpellier, les anomalies policières et judiciaires s’accumulent.

Au palais de justice de Montpellier le 20 janvier 2009 (photo : J.-O. T.)Dans cet article, vous allez lire des informations que vous n’aurez pas lues ailleurs. Pensez à faire un don à Montpellier journal s’il vous a intéressé.

L’enquête de Montpellier journal avait été difficile. « Sur l’identification de l’auteur du coup, les versions de différentes sources policières divergent », écrivions-nous le 19 avril après la blessure à la tête d’un policier le 29 mars lors d’une évacuation mouvementée d’un camp de Roms roumains installés sur un terrain de la Serm à Garosud. Un autre des quatre policiers présents aurait été légèrement atteint par un coup de pelle à la jambe n’entraînant aucune Incapacité totale de travail.

Sans casier judiciaire
Puis mi-mai, Jiji, un des auteurs présumés des violences, est interpellé par la police. Il devait passer en comparution immédiate le 16 mai pour « violence aggravée » mais l’audience a été reportée au 20 juin. Dans l’intervalle, il a été placé en détention provisoire. Lundi, lorsqu’il est présenté au tribunal correctionnel, ce jeune de 19 ans, sans casier judiciaire, en est donc à sa sixième semaine de détention. Il risque sept ans de prison.

De la synthèse du président du tribunal, il ressort que Jiji n’est pas accusé par les policiers d’avoir porté le coup à la tête mais seulement celui à la jambe. De plus, seule la victime présumée affirme que c’est Jiji qui lui a porté ce coup de pelle. Les trois autres déclarent simplement que Jiji était présent et qu’il avait une pelle. Deux d’entre eux ajoutent qu’il était « menaçant ». Jiji, pour sa part, avait déclaré lors de sa première audition qu’il était présent sur les lieux et qu’il avait une pelle. Aujourd’hui, il dit qu’il n’était pas présent puisqu’il habite sur un autre camp qui n’a rien à voir avec celui qui a été évacué ce jour-là. Il a toujours nié avoir porté un coup au policier.

« Le détail qui tue »
De plus, selon Me Benyoucef, l’avocat de Jjiji, la victime présumée du coup de pelle a déclaré lors de sa première audition : « Je suis en mesure de vous dire que celui qui m’a agressé – celui qui m’a agressé – parle un très bon français. » Quelques semaines plus tard, Jiji se fait interpeller et, souligne l’avocat, « on est obligé de différer la notification de ses droits parce qu’il est dans l’incapacité de comprendre et de parler le français ». Et de conclure : « C’est le détail qui tue ». Comprendre : Jiji ne peut pas être l’agresseur.

Qui faut-il croire ? Le policier ou Jiji ? Faut-il attacher de l’importance aux déclarations de plusieurs personnes présentes qui ont déclaré à des membres du Collectif de soutien aux Roms de Montpellier, que les policiers étaient « très agressifs », « bien bourrés » pour certains ? Ou à celles d’une autre qui, lors de son audition par la police, a déclaré que les policiers avaient ce soir-là « un comportement bizarre » (audition rapportée par Me Benyoucef).

Rapport d’analyse ADN pas parvenu au tribunal
On peut également s’étonner de la capacité des policiers à identifier Jiji parmi plusieurs centaines de photos. En effet, il était 21h au moment des faits c’était donc la nuit, une vingtaine de personnes étaient présente et une certaine confusion a visiblement régné. Le rapport des analyses d’empreinte et d’ADN sur la pelle et la rotule de direction (suspectée d’être la cause de la blessure à la tête) pourrait apporter des indications. Problème : lundi le rapport du laboratoire Biomnis n’était toujours pas parvenu au tribunal. Du côté de Biomnis saisi début avril, on indique à Montpellier journal que « l’affaire n’a pas été signalée comme urgente » par les enquêteurs mais que le rapport est prêt et qu’il doit partir au plus tard la semaine prochaine.  Autre problème : Jiji est poursuivi pour des violences en réunion or il est le seul suspect à avoir été interpellé.

Le procureur a dû reconnaître que le dossier était mal ficelé et a tenté de justifier ces couacs par un mauvais passage de relais entre le parquetier de permanence le week-end et celui qui a repris le dossier. Me Benyoucef a pour sa part commenté : « On a commis une erreur de précipitation. On renvoie le dossier à l’instruction mais on arrête de jouer avec la liberté des personnes même quand ce sont des Roms. » Le tribunal l’a suivi sur la première partie et la procédure est repartie à zéro : mise en examen de Jiji par un procureur et présentation devant une juge d’instruction. Problème : si le rapport du labo devrait bien finir par arriver, l’interpellation des trois autres suspects pourrait prendre du temps. Pendant lequel Jiji pourrait rester en détention.

« C’est du grand n’importe quoi ! »
Après l’audience, Me Benyoucef explique : « Il y aurait dû y avoir une ouverture d’information d’emblée. Lorsqu’on fait comparaître dans ce mode-là un présumé coupable, il faut que le dossier soit en état. C’est du grand n’importe quoi ! On est tellement submergé de travail au niveau du parquet, on est tellement soumis à des circulaires disant : « Il fait poursuivre, il faut juger, il faut condamner », qu’on ne fait même plus attention. Il y a une volonté répressive à laquelle est soumis le parquet qui pollue le débat. On est à un an d’une échéance électorale, on est dans la religion du chiffre : il va falloir dans 7-8 mois apporter des chiffres sur l’échiquier politique. On va être des Stakhanovistes de l’interpellation, du jugement dans un bref délai, de la condamnation et de l’exécution de la peine. »

Il faut également rappeler que les poursuites se basent sur les déclarations de quatre policiers dont un seul, la victime, affirme que Jiji l’a frappé. Que l’enquête a été menée par des policiers donc des collègues des quatre policiers en question. Commentaire de Me Benyoucef sur ce point : « Le parquet aurait dû confier l’enquête à la gendarmerie. » Enfin, il faut noter qu’aucun test d’alcoolémie n’a été mené sur les policiers. On ne peut donc pas savoir si les accusations avancées par certains protagonistes de la scène sont exactes ou pas.

Lamentations de la mère de Jiji
L’affaire s’est poursuivie mercredi puisque le juge des libertés et de la détention devait statuer sur le maintien ou pas de Jiji en détention. Malgré un certificat d’hébergement et la proposition d’un pointage quotidien au commissariat, le juge Philippe Treille a décidé de ne pas libérer Jiji pour deux raisons : « empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses co-auteurs ou ses complices » (présumés) et « garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice ». Le placement sous contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence sous surveillance électronique ne permettrait pas, selon le juge, d’atteindre ces objectifs. Plusieurs minutes après l’annonce de la décision, les lamentations de la mère de Jiji et les mots de colère de son père, déjà présents lundi toute l’après-midi au palais de justice, raisonnaient encore dans le palais de justice.

Durant l’audience, Me Benyoucef avait lancé : « On peut se moquer de la situation. Vous savez c’est un Roumain. Un Roumain qu’on met en prison, comment voulez-vous que ce soit problématique ? La liberté des autres ça n’est jamais problématique. La présomption d’innocence des autres, ça n’est jamais problématique. [...] Rien ne vaut rien jusqu’au jour où cela vaut quelque chose. Mais ce jour-là, il n’y a plus personne pour en répondre parce que c’est le système qui est fait comme ça. C’est le trésor public qui fait le chèque le jour où on se rend compte qu’on est passé à côté du problème. »

« Le préfet a donné des instructions inopportunes »
Enfin, Me Benyoucef rappelle à Montpellier journal comment, selon lui, on en est arrivé là : « Le préfet [Claude Baland] a donné des instructions inopportunes aux services de police parce que toute la journée [du 29 mars], on a fait tourner en bourrique ces gens-là. Si on en est arrivé à créer un état de tension, je considère que c’est dû à ce qu’on a fait subir à ces gens-là pendant la journée. » (pour plus de détail lire : L’expulsion de Roms roumains d’un terrain de la Serm se termine mal)

Hasard du calendrier, jeudi matin, on apprenait que Georges Tron venait d’être mis en examen pour « viols et agressions sexuelles en réunion ». Des crimes passibles de 20 ans de réclusion criminelle. L’ancien secrétaire d’état conteste les accusations portées contre lui. Il a été laissé en liberté sous contrôle judiciaire. Il a interdiction de rentrer en contact avec les victimes présumées et les témoins. L’une des deux plaignantes a déclaré sur RTL : « Ce serait le charcutier d’à côté, il serait en prison.  Aujourd’hui, lui, il est libre. Aujourd’hui, on a des pressions, des menaces. Il va nous falloir le vivre. La justice va attendre qu’on soit tabassé pour attendre éventuellement de mettre ces personnes en prison ?»

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