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Le Vendredi 1 avril 2011 à 19:20

Une quarantaine de précaires de l’Hérault attaque l’Éducation nationale


Neuf ont saisi les Prud’hommes de Montpellier en février et une trentaine devrait le faire en milieu de semaine prochaine. En contrats aidés dans des établissements scolaires, ils demandent à la justice de requalifier leur contrat de travail en CDI ou de condamner leur employeur à leur verser des dommages et intérêts. Dans le seul Languedoc-Roussillon, l’Éducation nationale emploie près de 3000 personnes dans le cadre de ces dispositifs.

Des membres du collectif des précaires de l'Education nationale et leur avocate (deuxième en partant de la gauche) le 16 mars lors d'une conférence de presse à Montpellier (photo : J.-O. T.)Dans cet article, vous allez lire des informations que vous n’aurez pas lues ailleurs. Pensez à faire un don à Montpellier journal s’il vous a intéressé.

Plus de 150 000 agents de l’administration pourraient être « déprécarisés ». C’est ce qu’a annoncé Georges Tron, le secrétaire d’État à la Fonction publique, dans Libération hier, quelques heures avant la signature, par six organisations syndicales, de l’accord « sur les contractuels de la fonction publique ». Précaires parmi les précaires, les personnes en contrats aidés ont été exclues du champ de la négociation de cet accord alors qu’ils sont pourtant plusieurs dizaines de milliers à exercer dans l’administration.

Lassé des audiences et des luttes sans résultat
Dans l’Hérault, le Collectif des précaires de l’Éducation national n’a pas attendu la signature de cet accord. Et il a donc visiblement bien fait. Lassé des audiences et des luttes sans résultat, il a décidé de recourir à l’arme juridique. Il est soutenu dans cette démarche par la CNT éducation, Sud éducation et l’union syndicale Solidaires de l’Hérault. Neuf personnes ont déjà saisi le conseil des prud’hommes de Montpellier et une trentaine devrait en faire de même « en milieu de semaine prochaine » selon Natacha Yehezkiely, leur avocat.

Les personnes encore en poste demandent une requalification de leur contrat en CDI. Les autres, des dommages et intérêts pour une rupture de contrat de travail « sans cause réelle et sérieuse », une indemnité de licenciement et le paiement du préavis. Pour un total supérieur à 12 000 euros. « C’est un moyen de mettre l’Éducation nationale face à ce problème et de dénoncer le recrutement en masse des personnels sur des postes qui nécessiteraient un personnel pérenne », commente Nicole du collectif. Quand on sait que sur la seule académie de Montpellier, il y a près de 3000 personnes en contrats aidés et qu’il y a une trentaine d’académies en France, on mesure le risque pour l’État si cette démarche devait faire boule de neige et si la justice donnait raison aux plaignants. Et encore faudrait-il sans doute ajouter à ces chiffres les personnes qui ne sont plus en poste mais qui peuvent encore agir juridiquement.

« Les CES ont remplacé de vrais emplois »
Il faut dire que les dispositifs de « traitement social du chômage » ne datent pas d’hier. Tout a commencé en 1984 avec les Travaux d’utilité collective (TUC) puis vinrent ensuite les Emplois jeunes, les Contrats d’avenir, les Contrats emploi solidarité (CES), les Contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE). Tous visent, en théorie, à favoriser l’insertion professionnelle des chômeurs de longue durée. Problème, comme le souligne Philippe Cherpentier de Sud éducation : « On peut considérer que les CES ont remplacé de vrais emplois. On a recruté énormément de CES dans les établissements du secondaire et ils ont fait beaucoup de travaux que font les techniciens, ouvriers et personnels de service (TOS). » C’était en 1990 sous le gouvernement Rocard.

Aujourd’hui, la répartition des postes est la suivante en Languedoc-Roussillon (chiffres du rectorat au 31 décembre 2010) : 1014 personnes étaient en charge de l’accompagnement des élèves handicapés, 1056 occupaient un poste d’assistant administratif au directeur d’école, 116 de « médiateurs de réussite scolaire » et 647 sur d’autres fonctions (plutôt dans le second degré). Tout ça dans 2203 établissements (1929 écoles, 198 collèges, 76 lycées). Le temps de travail pour ces contrats est généralement compris entre 20 et 26h par semaine, payé au Smic avec une aide pour l’employeur comprise entre 70 et 90% et partiellement exonéré de charges sociales. Bref, de la main d’oeuvre bon marché.

« Avenir ? Je ne sais pas qui a inventé ce nom… »
La durée maximum du contrat est de 24 mois, parfois plus selon le profil de la personne. Il est renouvelé souvent au dernier moment. « Chaque année, je ne sais pas du tout si je vais être repris, raconte Frédéric embauché en Contrat d’avenir. On ne sait pas du tout où on va. Avenir ? Je ne sais pas qui a inventé ce nom… » Pour Stéphanie Valette de Solidaires, avec de tels contrats, « les gens ne peuvent pas être titularisés et avoir une vie décente. On ne peut pas se projeter professionnellement et dans la vie. » Benoît Guerrée déclare pour la CNT : « Le but de la loi ce n’est pas de réinsérer mais d’acheter la paix sociale. On a des personnes en grandes difficultés, on va les acheter pendant quelques mois et après on va tourner. L’objectif est évidemment de remplacer des fonctionnaires d’état par des personnels précaires qui effectuent le même travail mais qui sont sous payés avec des contrats qui ne leur permettent pas de rentrer dans la lutte. »

Me Yehezkiely s’insurge : « À la fin de l’échéance légale, on les jette – je pense qu’il n’y a pas d’autres mots, ils ne sont même pas remerciés – et puis on en prend d’autres. Parce qu’il y aura toujours des gens en situation précaire qui rentreront dans les clous de ces dispositifs légaux. On en prend d’autres pour les mêmes emplois, qui auront les mêmes compétences, qui n’auront pas plus de formation ni de perspectives. Finalement le système est dévoyé parce qu’au lieu de sortir les gens de la précarité, on les y laisse. »

C’est d’ailleurs un des arguments que l’avocate développera devant les prud’hommes en considérant que « l’objet de ces contrats n’a pas été respecté puisqu’il ne visait pas à une réinsertion en situation professionnelle pérenne ». Autre argument, plus technique mais qui a déjà été validé par la Cour de cassation : la personne doit être embauchée après la signature de la convention avec Pôle emploi qui régit le dispositif. Et si ce n’est pas le cas, le contrat doit être requalifié en CDI.

« L’idée c’est que ce ne soit pas toujours
le même chômeur de longue durée
qui soit sur le même emploi »
(Philippe Destouche, rectorat de Montpellier)

Au rectorat, Philippe Destouche affirme : « La convention et le contrat sont signés en même temps. Normalement. Ce sont les instructions qu’on donne. » Plus généralement, il rappelle : « C’est dans le code du travail. Les contrats aidés ne peuvent jamais être transformés en CDI. » Puis il ajoute, comme en écho aux propos cités plus haut : « C’est le principe, autrement il n’y aurait pas de contrats aidés parce que l’idée c’est que ce ne soit pas toujours le même chômeur de longue durée qui soit sur le même emploi – c’est qu’il y en a toujours de nouveaux, malheureusement. L’idée c’est de faire tourner le dispositif. »

« En quatre ans et demi, aucune formation »
Sauf que le Collectif insiste sur l’importance de la formation qui doit permettre la réinsertion. Ainsi, le plan de formation doit être inscrit dans le contrat et dans la convention mais doit aussi se traduire dans les faits. Me Yehezkiely cite le cas de Frédéric qui n’a eu « en quatre ans et demi, aucune formation. Rien ne lui a été proposé, rien n’a été envisagé. Et il y a quinze jours [fin février], je pense au lendemain de la réception par le lycée de la saisine de la justice, comme par hasard, on lui propose de postuler à une formation. » Et la juriste de faire référence à une autre décision de la Cour de cassation qui précise que le contrat de travail « doit fixer les modalités de mise en œuvre des actions prévues par la convention [...] et destinées à mettre en œuvre le projet d’insertion professionnelle du salarié dans le cadre de son parcours d’insertion, et qu’à défaut il doit, le cas échéant, être requalifié en contrat à durée indéterminée ».

Pour Denis Waleckx, en charge de la formation au rectorat, « la difficulté c’est de faire comprendre à ces contrats précaires qu’ils ont droit à la formation. Mais c’est à eux de concrétiser le droit. L’offre de formation, elle y est. » Et de rappeler que « le recteur dit depuis quatre ans que le Plan académique de formation s’adresse aux titulaires mais aussi aux personnels sous contrat ». La justice dira peut-être qui dit vrai et en particulier si l’offre est bien présente et si elle suffit à remplir les obligations de l’employeur. Il devrait y avoir deux audiences avant fin juin, date de fin de la grande majorité des contrats des plaignants.

Pour contacter le collectif : antiprecaires34@no-log.org

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Un commentaire

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  1. Duplenne said
    on 6 avril 2011

    à 10 h 11 min

    Pour Denis Waleckx, en charge de la formation au rectorat, « la difficulté c’est de faire comprendre à ces contrats précaires qu’ils ont droit à la formation. Mais c’est à eux de concrétiser le droit. L’offre de formation, elle y est. » Et de rappeler que « le recteur dit depuis quatre ans que le Plan académique de formation s’adresse aux titulaires mais aussi aux personnels sous contrat ».
    Ceci est une contre vérité. Ce à quoi doivent avoir droit les précaires c’est une formation professionnelle qualifiante. La compétence dans ce domaine relève des conseils régionaux. Les rectorats et inspections académiques doivent organiser dans le cadre de la formation professionnelle des formations qualifiantes pour des métiers existants : éducateurs, moniteurs-éducateurs…débouchant sur de vrais emplois.