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Le Mardi 27 mars 2012 à 19:20

Affaire Mohamed Merah : des questions toujours sans réponse


Une semaine après la localisation du suspect, c’est l’accumulation des interrogations qui étonne alors que les officiels ont énormément communiqué y compris pendant que l’opération était encore en cours à son domicile.

Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, le 21 mars 2012 sur France 2 (photo : copie d'écran de la vidéo du journal)Ce n’est pas le type de sujets que traite habituellement Montpellier journal. Mais des questions se posent la semaine passée sur l’affaire Mohamed Merah. Alors on attend en espérant avoir des réponses ou, du moins, en espérant que ces questions soient posées clairement. Donc on lit, on regarde, on écoute. Et puis rien. Ou pas grand-chose. Certes, beaucoup de communication, de directs. Mais peu sur quelques questions qui chatouillent. Alors on s’y met. En se basant sur des recherches menées uniquement via Internet donc avec des sources ouvertes. D’autres questions se posent aussi sur l’intervention du Raid qui a conduit à la mort de Mohamed Merah. Elles ne sont pas abordées ici.

Quand Mohamed Merah apparaît-il la première fois dans l’enquête ?
Le Monde (21/03) écrit : « L’homme avait été ciblé parmi d’autres suspects, au lendemain de l’attaque contre les trois parachutistes de Montauban. » Libération (22/03) et France 2 (22/03, vers 25’15’’) évoquent deux listes de 15 suspects, une pour la piste islamiste, l’autre pour l’extrême droite, qui auraient été dressées par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), le vendredi 16 mars, voire le jeudi 15 mars (1), jour des meurtres de Montauban. Mohamed Merah figure sur cette liste. Commentaire de France 2 : « Contrairement à d’autres, il n’est pas interrogé. Pourquoi ? C’est une des questions qui se posent ce soir. » Question qui n’a toujours pas de réponse et qui est pourtant fondamentale car quatre jours plus tard, ce sera la tuerie de l’école juive de Toulouse.

Bernard Squarcini, le patron de la DCRI donnera deux interviews au Monde (daté du 24/03) et au Parisien (23/03). Au premier il déclare : « La DCRI a commencé à échanger avec la police judiciaire dès le vendredi 16 mars. » Mais ajoutera : « Samedi au soir, ils nous ont transmis des données à cribler dans notre documentation. » Pas d’informations plus précises et les deux listes de suspects ne sont même pas évoquées.

Pourquoi la liste des adresses IP n’a pas été récupérée plus tôt ?
C’est le journaliste Jean-Marc Manach qui pose la question sur le site Owni le 21 mars : pour lui, il s’agit d’une « enquête en bas débit ». À l’appui de sa démonstration, il cite La Dépêche qui évoque, pour le premier meurtre de Toulouse le 11 mars, un piège tendu par une personne qui se serait fait passer pour un acheteur de la moto du militaire tué. Et le quotidien d’affirmer le 13 mars (donc l’info date du lundi 12) : « L’hypothèse fait partie des « priorités » des enquêteurs. » Problème, la liste des adresses IP des personnes qui se sont connectées à la petite annonce publiée par le militaire sur LeBonCoin.fr, ne parviendra aux enquêteurs que le vendredi 16 mars. Soit quatre jours au minimum après que la piste a été considérée comme une des « priorités ». Problème, on ne sait pas si la demande a été faite tardivement au BonCoin ou si c’est le site qui a répondu tardivement. Celui-ci a déclaré à Owni qu’il n’était pas « autorisé » à dire quand la demande a été faite et quand la réponse a été fournie. Mais Owni cite des « sources policières » qui confirment l’existence d’un « délai inhabituel pour une opération de cette nature ».

Quand le lien adresse IP – Mohamed Merah est-il fait ?
Là c’est le grand flou dans la communication de François Molins, procureur de Paris, de Bernard Squarcini (DCRI) et de Claude Guéant, ministre de l’intérieur :

  • François Molins (conférence de presse, 21/03) : « On obtient une liste samedi après-midi. La liste est criblée. Figure dans ces 570 noms, non pas celui de M. Merah mais celui de sa mère, Mme Aziri. »
  • Claude Guéant (TF1, 20h, 21/03, vers 16’30’’) « C’est lundi après-midi que le croisement de ces adresses IP avec les fichiers des services de renseignement a permis de faire tilt puisque apparaissait le nom de la mère de M. Merah et par conséquent les fils qui étaient connus des renseignements intérieurs. »
  • Bernard Squarcini (Le Monde, 24/03) : « La DCRI a commencé à échanger avec la police judiciaire dès le vendredi 16 mars. Le samedi au soir, ils nous ont transmis des données à cribler dans notre documentation. Nous savons dimanche soir que Mme Aziri est la mère de Mohamed et Abdelkader Merah. »

Soulignons qu’avec deux listes de trente noms et la liste des noms correspondant aux 576 adresses IP, le croisement est nécessairement très rapide même s’il est fait semi-manuellement. Or, si on en croit Bernard Squarcini, cela a pris 24h et même 48h selon Claude Guéant.

Les frères Merah sont-ils difficiles à localiser ? Quand le sont-ils ?
La communication des officiels est encore  floue sur ce point.

  • François Molins (conférence de presse, 21/03) : « Ces deux frères ne sont pas localisés géographiquement. On sait qui ils sont mais on ne sait pas où ils sont à l’époque où l’enquête se déroule. […] On n’a toujours pas, j’insiste sur ce point, localisé les frères Merah. Les investigations se poursuivent mardi dans l’après-midi. Mohamed Merah est, en début d’après-midi, localisé dans l’appartement Côte pavé [quartier de la rue Sergent Vigné], donc sur site où il est encore aujourd’hui. Abdelkader lui, est localisé, mardi en fin d’après-midi. »
  • Claude Guéant (France 2, 21/03, vers 22’) : « Pour arrêter quelqu’un, encore faut-il savoir où il vit. »
  • Claude Guéant (RTL, 22/3, vers 4’50’’) : « Dès le mardi matin, donc le 20 au matin, la constatation de la présence de Merah dans son appartement. Il apparaît à la fenêtre après un survol d’hélicoptère. Et donc immédiatement un périmètre est installé autour de lui pour qu’il ne puisse plus sortir de chez lui. »

Pourtant, Mohamed Merah habite l’appartement de la rue du Sergent Vigné – celui où il sera tué par les policiers – au moins depuis l’été 2010 si on en croit une mère de famille et son avocat qui témoignent sur France 2 (22/03). Son fils aurait été amené de force par Mohamed Merah dans cet appartement. Le Monde cite aussi le 25 mars une main courante déposée par une voisine de la rue Vigné en janvier 2011 pour une querelle de voisinage. RTL publie également un CV de Mohamed Merah avec toujours la même adresse : « 17, rue du sergent Vigné, appt 2. » Concernant son frère, Abdelkader, Le Journal du dimanche rapporte (25/03) qu’il avait emménagé dans sa maison d’Auterive près de Toulouse en septembre 2011. C’est là qu’il sera interpellé dans la nuit de mardi à mercredi.

Bref, à ce stade, il est difficile de penser qu’ils se cachaient dans des lieux difficiles à trouver et non référencés dans les fichiers de la police ou de la DCRI. Ou alors, les officiels n’ont pas tout dit.

Pourquoi le Traqueur du scooter volé n’a-t-il pas fonctionné ?
Un concessionnaire Yamaha a affirmé aux policiers qu’un des frères Merah était venu demander, le jeudi 15, des renseignements sur la méthode pour désactiver le Traqueur installé sur son scooter. Ce qui laisse penser qu’il ne l’avait pas désactivé à ce moment-là. Les fabricants de ces dispositifs qui permettent de localiser un scooter même en sous-sol, offrent à leur client de les rembourser si leur véhicule n’est pas retrouvé en 7 jours. Or le scooter aurait été volé le 6 mars selon le procureur. Pourquoi le scooter n’a-t-il pas pu être localisé ? Cette question a fait l’objet d’une brève (lexpress.fr, 23/03) qui précise : « Le propriétaire l’a bien sûr fait activer après le vol. Mais selon des sources concordantes, la balise n’a jamais émis. Les enquêteurs se demandent s’il s’agit d’un simple dysfonctionnement technique ou si Mohamed Merah a réussi à désactiver ce dispositif susceptible de le trahir. »

Marianne (24/03) revient aussi sur cette question et avance une autre explication : « Le tracker n’avait pas été activé par le propriétaire, un service payant qu’il n’avait pas jugé utile de s’offrir. » Interrogé par mail par Montpellier journal, Frédéric Ploquin, le journaliste de Marianne, évoque une source policière donc une information non confirmée par le propriétaire. Si celui-ci veut se manifester auprès de Montpellier journal pour livrer sa version, il est le bienvenu…

Que révèlent tous ces éléments ? D’abord que Mohamed Merah (voire son frère) n’a pas été très prudent. Il a utilisé l’ordinateur de sa mère pour consulter la petite annonce du militaire sans masqueur d’adresse IP, il habitait dans son domicile habituel, il se rend chez un concessionnaire qu’il connaît pour lui demander des renseignements sur le Traqueur alors que des témoins des premiers meurtres ont signalé que le tueur utilisait un scooter de grosse cylindrée. Il pouvait donc être repéré par rapport à cette démarche – et il l’a d’ailleurs été. Il utilisait un téléphone au nom de sa mère plutôt qu’une carte SIM plus anonyme. Il n’avait pas pensé à s’occuper du Traqueur juste après le vol. Il avait un passé de petit délinquant et d’un voyageur au Pakistan et en Afghanistan. S’il avait été plus « professionnel », il est permis de penser qu’il pourrait encore être dans la nature. Soulignons également que cette affaire révèle les limites (au minimum) du recours à la technologie pour prévenir voire élucider ces meurtres. En effet, la vidéosurveillance, le fichage ADN et le Traqueur n’ont été que de faible (voire d’aucune) utilité.

Sur les questions concernant l’action en amont de la DCRI, lire l’excellent article de Louise Fessard sur Mediapart : Toulouse, l’échec de la DCRI et de la méthode Squarcini. Et aussi L’espion du président , Didier Hassoux, Christophe Labbe, Olivia Recasens – Robert Laffont, février 2012, 19 €. Ou encore Tarnac, magasin général, Calman Lévy, mars 2012, 20 €.

► Chronologie (entre parenthèse, les sources)

  • Mercredi 6 : vol du scooter TMAX 530 (Procureur)
  • Dimanche 11 : meurtre du militaire de Toulouse
  • Lundi 12 : la piste de l’annonce sur leboncoin.fr est une des « priorités » des enquêteurs (La Dépêche)
  • Jeudi 15 : meurtre des militaires de Montauban
  • Jeudi 15 : Merah se renseigne sur le Traqueur chez Yam31 (concessionnaire et procureur)
  • Jeudi 15 ou vendredi 16 : deux listes de 15 suspects auraient été dressées par la DCRI (Le Monde, Libération, France 2)
  • Vendredi 16 : la DCRI échange avec la police judiciaire (Squarcini)
  • ??????? : liste des 576 adresses IP fournie par leboncoin.fr (procureur)
  • Samedi 17 : liste des noms correspondant aux adresses IP connues (procureur)
  • Dimanche 18 : Nom Aziri connu (Squarcini)
  • Lundi 19 8h : meurtre de l’école juive
  • Lundi 19 pm : nom de la mère apparu (Guéant)
  • Mardi 20 matin : Mohamed Merah vu dans son appartement (Guéant)
  • Mardi 20, début d’après-midi : Mohamed Merah localisé (procureur)
  • Mardi 20, fin d’après-midi : Abdelkader Merah localisé (procureur)
  • Mercredi 21 1h : revendication à France 24
  • Mercredi 21 3h : première intervention du Raid
  • Mercredi 21 : cachet de la poste du pli contenant les images vidéo des meurtres envoyées à à la chaîne de télé Al-Jazira
  • Jeudi 22 11h30 : mort de Mohamed Merah

► Lire aussi

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(1) Libération écrit : « Le nom de Mohamed Merah ressort donc jeudi dernier «parmi d’autres», précise l’officier [de renseignement], «sans pour autant que l’on se doute qu’il s’est auto-radicalisé à ce point extrême». » [mise à jour le 28/03 à 9h20 avec la citation du Monde du 21/03 et la date du jeudi 15]


Publié dans Politique, Sécuritaire.

4 commentaire(s)

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  1. Alligator 427 said
    on 28 mars 2012

    à 14 h 56 min

    Bonjour. D’autres interrogations demeurent: Selon la police, il aurait effectué des séjours au Pakistan et en Afghanistan, mais aussi en Israel, Cisjordanie, et Egypte, ou il s’est rendu à de nombreuses reprises de 2006 dans un école coranique (il devait alors avoir… 15 ans?). Ajouter à celà quelques séjours en prison en 2007 et 2009 pour 18 faits, une formation de carrossier, quand a-t-il pu travailler au minimum deux ans pour pouvoir prétendre toucher le RSA, ayant moins de 25 ans? Et d’ou sortait l’argent pour voyager, louer un appartement et une maison, ainsi que des voitures, et s’acheter pour 20 000 euros d’armes? Une double vie, au sens propre et au sens figuré. Voir également l’article d’un journal italien qui fait état de liens curieux entre le renseignement Français et Merah, ainsi que les conclusions d’Yves Bonnet, ancien de la DST. D’autre part, le signalement diffusé jusqu’au jour du siège faisait état d’un homme de race caucasienne, assez corpulent et ayant un tatouage sur la joue (témoignage diffusé plusieurs fois). Pas grand-chose à voir avec lui, dont d’ailleurs on n’a pu voir à ce jour aucune autre photo que celle tirée de la vidéo ou on le voit caracoler en BMW. Concernant l’appel passé à France24, il n’a pas été enregistré (c’est ballot, hein, de la part et de la journaliste, et de la police) et authentifié à 98% (c’est précis!) par la police. Curieux appel d’ailleurs, à une heure du matin, ou par chance la journaliste travaillait encore, alors qu’à trois heures, après la première tentative d’assaut, Merah jette son 11’43 (l’arme du crime) par la fenêtre en échange d’un moyen de communication. Son portable est tombé en panne entretemps? Ah ben non, l’appel a été lancé d’une cabine téléphonique…Donc on l’a laissé tranquillement ressortir en pleine nuit et trouver une cabine téléphonique (et il n’en reste pas beaucoup), puisqu’il était logé depuis la veille. Peut-être en a-t-il profité pour poster son petit colis, au nez et à la barbe de la surveillance? Entre Lundi matin et Mardi, il aurait eu le temps de réaliser un montage vidéo de 25 minutes avec bande son et tutti quanti, d’y joindre une lettre jugée « fantaisiste » par la police, et de poster le tout. Donc, on devrait pouvoir trouver des traces dans son ordinateur. Sauf que maintenant, après le frangin, on nous parle d’un troisième homme. Nul doute que celui-ci s’il existe aurait mis les voiles. Il aura eu le temps d’assurer ses arrières pendant les 32 heures du siège qui s’est soldé par la mort du tueur, sans que l’on ait jamais vu ou entendu ce dernier. Pour les vidéos, peut-on croire qu’il n’aurait fait aucune copie ou que la chaine ayant reçu le document ne l’ait pas fait? Tout celà mis bout à bout (et je laisse de coté le déroulement du siège et les critiques du Cdt Prouteau) permet, sans verser dans la parano complotiste, de se poser quelques questions.

  2. Xavier Malafosse said
    on 28 mars 2012

    à 22 h 02 min

    Coquille ou non ? (tu peux virer le message ensuite)

    « Samedi au soir, ils nous ont transmis des données à cribler dans notre documentation. » On crible de balles Merah, mais on cible des données, non ?

  3. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 28 mars 2012

    à 23 h 35 min

    @Xavier : Ben on dirait bien que cribler est aussi le terme utilisé par la DCRI pour les données.

  4. gana sébastien said
    on 1 avril 2012

    à 14 h 38 min

    je trouve cette chronologie très juste. dommage qu’aucun journaliste des grands médias ne la fasse…. pourtant il suffit de relever tous les déclarations émisent par le procureur de la répulique et de claude guéant… j’avais moi-même étudier toute la chronologie et avait relevé les mêmes points… je vous remercie de votre travail.( qui est celui d’un vrai journaliste)