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Le Mercredi 30 juin 2010 à 21:40

« On est le seul syndicat qui a encore un projet de société » (2/2)


Deuxième partie de notre entretien avec Patrick et Benoît, anarchosyndicalistes de la Confédération nationale du travail (CNT) mandatés par l’union locale de Montpellier pour répondre à nos questions. Pourquoi les salariés s’investissent moins dans le syndicalisme ? Quelle solidarité financière du syndicat ? Faut-il négocier avec les patrons et quand ? Quelles sont ses principales revendications ? Qu’est-ce qu’un « syndicat révolutionnaire » ? (Propos recueillis le 29 mai.)

Dans le cortège de la manifestation du 27 mai 2010 à Montpellier (photo : Xavier Malafosse)

Lire la première partie de l’interview.

Aujourd’hui, en France, les gens n’ont-ils pas encore trop à perdre pour se mettre en grève ?
Patrick : J’en arrive à me poser la question inverse c’est-à-dire : n’ont-ils pas déjà trop perdu ? En ce moment, on ne peut pas ouvrir la radio sans entendre une nouvelle catastrophe annoncée par Sarkozy et ses sbires. Je parle sur un terrain uniquement syndical et salarial, je ne parle même pas d’un certain nombre de libertés qui sont en train de foutre le camp. Je me demande si, à force de leur en mettre sur la tête, ils ne sont pas en train de courber l’échine. Et jusqu’où.

Sans parler de ne pas manger à sa faim, les gens se disent peut-être : « Si je fais la grève, comment je vais faire pour payer ma maison, ma voiture, etc. ? »
Patrick : Nous avons une réponse à cela : historiquement, les syndicats – du moins la CGT – avaient une caisse de grève. Il ne s’agit pas d’une caisse de soutien qui, pour nous, est liée à un conflit particulier pendant lequel il y a un appel soit à travers la confédération chez nous, soit des quêtes dans la rue, etc. pour essayer de dédommager un petit peu les collègues en grève. La caisse de grève, elle, est instituée dès l’instant que le syndicat existe.
Benoît : Normalement, ça sert à ça un syndicat.
Patrick : Elle doit s’alimenter en dehors des périodes de luttes par l’argent des cotisations des adhérents.

« L’origine du syndicalisme c’est la solidarité »

Comme le font les patrons, finalement ?
Patrick : Exactement. Ils l’ont copiée sur le syndicalisme. Dans Germinal, par exemple, on voit les ouvriers qui fondent une branche de l’Association internationale pour mettre en place la caisse de grève. On ne parle même pas de syndicalisme à ce moment-là. C’est tout simplement pour que, le jour où ça va péter – parce qu’on sent que ça va péter – il y ait des moyens pour tenir dans la grève.
Benoît : L’origine du syndicalisme c’est la solidarité. Il n’y avait pas de sécurité sociale. Les veuves – souvent c’étaient les mecs qui bossaient – touchaient une pension du syndicat ou des travailleurs. Le mec qui se faisait couper une jambe qui ne pouvait plus bosser touchait une indemnité.

On l’a un peu oublié ça, aujourd’hui, non ?
Benoît : Nous à la CNT, on le fait. Les copains licenciés, d’abord on se bat pour qu’ils réintègrent les boîtes. Mais quand on perd, en attendant ils ont un salaire. Ensuite, les caisses de grève sont interdites d’un point de vue légal. Mais officiellement, on peut dire caisse de solidarité alors qu’en vrai, on fait une caisse de grève. Ensuite pour ce qui est, par exemple, de la CFDT et de la CGT, il y a des moments où ils financent un mouvement, ce n’est pas forcément une caisse de grève. Ils ont tellement de fric… Parce qu’ils ont 75 % de leurs tunes qui viennent des subventions de l’État.

Tu es sûr du chiffre ?
Benoît : Non. Je crois que c’est deux tiers.
Patrick : Ce ne sont plus les salariés qui font vivre les syndicats majoritaires.
Benoît : Ça dépend comment on compte, avec quoi les permanents sont payés, les crédits alloués pour les salles, etc. En tout cas, même en terme d’argent brut, on est largement à deux tiers. Donc vu les tunes qu’ils ont, ils ont tout à fait la possibilité de financer un mouvement. Et c’est très bien, on aimerait qu’ils le fassent plus souvent, à des moments.

Ça veut dire quoi financer un mouvement ?
Benoît : S’il y a des piquets de grève, c’est financer la bouffe. Et aussi les tracts, les transports, etc. Ça coûte cher. Nous, à la CNT, on fait des concerts de soutien.
Patrick : Il y a quelque chose dont on n’a pas encore discuté, c’est le fait de négocier ou pas…

« On n’est pas pour les négociations hors conflit social »

Alors parlons-en…
Patrick : À la CNT, on n’est pas pour les négociations hors conflit social. Ce qui est aussi une grosse différence avec les autres.

Les fameuses Négociations annuelles obligatoire (NAO) ?
Patrick : Voilà. Pour nous, une négociation ne vaut mandat, quand on est à la CNT ou représentant de la CNT, uniquement s’il y a une lutte derrière.

« On ne peut pas contrôler ce qui est négocié »

Pourquoi n’accepter de négocier qu’en cas de conflit ?
Patrick : Tout simplement parce que, sinon, on en arrive au type de syndicalisme actuel chez les syndicats majoritaires : ils vont, en amont, négocier un certain nombre de choses – plutôt des queues de cerises depuis quelques années plutôt que des choses qui font évoluer la société ou tout du moins le bien être des travailleurs. On ne dit pas que c’est inutile mais on dit qu’à partir du moment où les représentants syndicaux sont lâchés dans la nature face à des patrons qui, eux, ont un pouvoir énorme notamment sur les salariés et sur pas mal de syndicalistes, on ne peut pas contrôler ce qui est négocié, ce qui se dit à l’intérieur de la réunion de négociation. Et les salariés ne peuvent surtout pas donner leur aval ou pas à cette négociation.

Benoît : Le mandat n’est pas contrôlé et n’est pas révocable. De plus, ce n’est pas que les NAO. Dans le public, constamment, nos camarades de la FSU vont voir le ministre et on n’a aucune idée de quoi ils causent. Parfois, ils font un pseudo compte rendu mais je ne sais pas d’où ça sort. Ça favorise forcément… Quels que soient les individus, on ne serait pas meilleurs si on y allait nous. Que ce soit clair : ce ne sont pas les individus à remettre en cause, ce sont les fonctionnements. Il y a des liens entre patrons et syndicalistes qui sont évidents. Je suis déjà allé en délégation au rectorat, mandaté par une AG, un syndicaliste du SNUIPP arrive, fait la bise à tout le monde et dit : « Bon allez, je prends ma casquette syndicaliste, bon nous on veut ça… » Ce n’est pas sérieux. Parce qu’ils se voient tout le temps, ils ne bossent plus. Ils sont culs et chemises. Après ils négocient eux-mêmes avec le patron : « Bon tu nous lâches ça pour qu’on garde notre légitimité. » Pour eux ! Alors que le patron voulait peut-être déjà le lâcher, ils font semblant de gagner un truc. Ce sont des fonctionnements délirants mais ça existe. Par exemple, le patron s’en fout de lâcher les tickets resto, il fait semblant d’être un peu ferme et du coup ça légitime l’action syndicale qui, en fait, est ridicule. L’autre jour j’ai participé à un débat avec les camarades de la CGT-Freescale [ex Motorola], c’était super intéressant : quand ils vont voir le patron, il y vont avec des syndiqués et des gens quasiment pris au hasard de l’assemblée générale qui permettent de contrôler ce qui se passe et ce qui s’y dit. De telle sorte que, réellement, ce soit le mandat donné qui soit porté.

Donc il y a des négociateurs et des observateurs en quelque sorte ?
Benoît : Oui. Même s’il faut une continuité. Mais il y a, en même temps, aussi une rotation que permet le collectif. Cette rotation permet aussi aux gens de se former.

« Notre objectif est de dénoncer les autres pratiques
mais surtout de montrer ce qu’on propose à la place »

Ne craignez-vous pas d’alimenter le discours de certains salariés qui disent que les syndicats sont « tous pourris » ?
Benoît : On a une logique collective. Notre objectif est de dénoncer les autres pratiques mais surtout de montrer ce qu’on propose, nous, à la place. Ce n’est pas notre seule motivation syndicale. On est quand même surtout sur la lutte.
Patrick : La CNT s’est quand même beaucoup assagie vis à vis des autres syndicats. Si on reprenait Le Combat syndicaliste, notre journal confédéral, d’il y a 30 ans, c’était à longueur de page contre la CGT, la CFDT, FO, contre tous les autres. On a quand même mis de l’eau dans notre vin.
Benoît : C’est vrai que ce n’est pas complètement productif de monter les gens contre les syndicats. Il y a déjà une tendance à dire LES syndicats. Nous, on rectifie continuellement LES syndicats en DES syndicats.
Patrick : Ou les bureaucrates syndicaux.
Benoît : En plus, quand on parle vite, on fait des raccourcis. On parle de « la FSU » au lieu des « bureaucrates de la FSU ». Moi, je ne parle pas de mon collègue de la FSU à l’école qui essaye de faire ce qu’il peut. Ensuite, quand les gens disent : « Tous pourris, c’est nul ce qu’ils font. » Mais « ce qu’ILS font »… Participe aussi camarade ! Les gens attendent que les syndicats fassent pour eux. Tous les syndicats sont confrontés à un manque d’investissement des salariés.

« C’est la force militante qui nous a fait repérer par les médias »

Et du coup ça se mord la queue : comme ils ont moins d’investissement, ils sont obligés de payer des gens et donc sont moins indépendants…
Benoît : Exactement mais nous on ne tombe pas dans ce travers malgré tout. Même si c’est facile car on n’est quand même pas beaucoup. Mais on grossit. L’important ce n’est pas le nombre d’adhérents mais le nombre de militants.
Patrick : Ce qui fait que la CNT est devenue visible sur Montpellier quasiment dès ses origines puisqu’on a remonté la CNT en 2000 avec l’interpo puis en 2003 avec le syndicat de l’éducation. C’est la force militante qui nous a fait repérer par les médias. C’est la force que nous avons et que les autres n’ont plus. C’est-à-dire qu’on y passe beaucoup de temps. Aujourd’hui, samedi après-midi, au lieu d’être à la plage, on est là en train de discuter avec toi, on va aller à une manif tout à l’heure [Pas de bébé à la consigne]. On y passe énormément de temps parce qu’on estime qu’effectivement le syndicalisme ce n’est pas une affaire de spécialistes. Ce n’est pas quelques uns qui doivent mener le syndicat, ce sont tous les adhérents qui doivent s’emparer du syndicalisme.

Mais alors, pourquoi y-a-t-il moins d’investissement dans le syndicalisme ?
Patrick : Le syndicalisme a commencé à perdre sérieusement des adhérents à partir de 1936, la CGT notamment. Parce que, même si 36 a été relativement loin – en France – beaucoup de gens sont restés insatisfaits : les acquis ont été rognés très très rapidement derrière. On a commencé à parler, à partir de cette période-là, de trahison syndicale. Une trahison en 36 – qui n’était peut-être pas, au passage, la plus importante – quelques autres trahisons après la guerre en 45 même si beaucoup a été obtenu mais forcément par le biais du syndicalisme et énorme trahison en 68. Sans parler de 2003 [réforme des retraites]. Donc à force de trahisons, il est clair qu’à un moment, les gens déchirent leur carte.

« L’émergence des collectifs est un truc nouveau »

Ceci peut, certes, expliquer un désintérêt vis à vis du syndicalisme mais les gens peuvent s’organiser autrement ou aller vers vous ou vers Sud…
Patrick : Ça va leur demander du temps. Même s’ils n’ont pas l’étiquette CNT, si on parle réellement de la même chose, ils vont s’organiser sur des bases très similaires. Donc ça veut dire qu’il va falloir qu’ils trouvent de l’argent, des locaux, tout ce à quoi on est confronté.
Benoît : Il y a un truc qui est nouveau (ça a dix ans), c’est l’émergence des collectifs. Je ne dis pas que c’est la cause du fait que les gens ne s’investissent pas, c’est une conséquence. C’est au contraire des gens qui s’investissent qui y participent. Un collectif, à la différence d’un syndicat, c’est provisoire. Problème, une fois que la lutte est terminée – gagnée ou perdue – chacun rentre chez soi. D’ailleurs souvent les gens disent : « Ils faut qu’on reste en contact. On fait une liste mail. » Du coup, on a 50 listes mails. « Il faut qu’on puisse discuter entre nous, se tenir au courant. » On leur dit : « Mais on a déjà ça. C’est ça le syndicat. »

Et comment ils réagissent à ce moment-là ?
Benoît : Certains adhèrent, ils sont minoritaires. Les autres gardent leur liste mail qui au bout de six mois n’existe plus. Le syndicat prend toute sa mesure en dehors des luttes aussi : c’est un outil de veille, d’échanges mutuels d’information, de soutien moral et financier, le cas échéant, parce qu’on a tous des galères perso dans notre boulot, une pression hiérarchique de plus en plus forte partout. Le but du syndicalisme c’est d’être plusieurs. On réfléchit aussi aux finalités de notre travail.

« On n’est pas sur des augmentations de salaires bruts »

Ça veut dire que quelqu’un qui travaille, par exemple, dans une entreprise d’armement et qui adhère à la CNT, logiquement, au bout de quelque temps, devrait changer de boulot…
Benoît : C’est ça mais on est sur une logique de regroupement de classe contrairement à un groupe politique. C’est-à-dire que, dès l’instant que quelqu’un n’est ni une force répressive ni un patron, il a la possibilité de se syndiquer à la CNT. En plus, la CNT a des orientations et des positions confédérales issues des congrès qui sont variées : par exemple, sur la décroissance, sur quelle économie on souhaiterait. Par exemple, on n’est pas sur des augmentations de salaires bruts. Le but c’est une égalité des salaires donc une augmentation inversement proportionnelle [au niveau de salaire]. On est sur des revendications qui sont aussi un peu différentes des autres syndicats.

Justement quelles sont vos principales revendications ?
Benoît : Il est en train de se créer une plateforme confédérale de revendications. Ce qu’on veut, c’est l’abolition du salariat.
Patrick : Chaque thème, domaine, chaque lutte a ses revendications propres. Par exemple sur les retraites, on préconise de revenir à 37,5 ans de cotisation.

« Notre projet de société, c’est le communisme libertaire »

Qu’entendez-vous par « l’abolition du salariat » ?
Patrick : La socialisation des moyens de production, la disparition d’un rapport hiérarchique entre un patron ou un chef et un salarié. Notre projet de société, c’est le communisme libertaire. On est le seul syndicat qui a encore un projet de société. On agit aussi en fonction de ce projet de société.
Benoît : On est contre la hiérarchie c’est-à-dire que quelqu’un puisse décider sur notre vie. « C’est nous qui bossons, c’est nous qui décidons. » Slogan classique. En même temps, tout en étant sur des revendications globales, on est aussi sur des luttes où on fait du syndicalisme. C’est-à-dire qu’on va chercher les augmentations de salaire, si on peut. Il faut avoir un projet révolutionnaire et s’y tenir mais ça n’empêche pas d’avoir des luttes intermédiaires.
Patrick : Il y a la réalité de cette société, qu’elle nous plaise ou non, à laquelle, malgré tout, on est contraint de s’adapter. On essaye de s’y adapter le moins possible mais malheureusement on ne peut pas être complètement marginal. Ou alors on est clochard au coin de la rue.
Benoît : Ou tu montes une coopérative de fleurs ou de légumes et tu manges tes légumes. Mais tu ne changes pas la société.

La CNT est un syndicat révolutionnaire. Ça veut dire quoi « révolutionnaire » ?
Benoît : C’est vouloir une autre société avec un fonctionnement différent c’est-à-dire l’abolition du salariat, du capitalisme, l’égalité sociale, etc.

Finalement, être révolutionnaire, c’est être radicalement réformiste…
Patrick : En dehors de toute forme d’élections. C’est en cela qu’on est révolutionnaire. Que ce soient les élections politiques ou syndicales, on n’y croit pas. Sur le terrain syndical, on est un petit peu contraint d’y aller, notamment dans le privé, mais c’est vrai qu’on n’y croit pas.
Benoît : Il y a aussi notre projet de société, le communisme libertaire et donc on met en oeuvre, dès aujourd’hui, dans notre pratique syndicale, ce qu’on voudrait plus tard : mandatement, fédéralisme, autogestion, …
Patrick : Le syndicat est une société miniature de ce que l’on souhaite.
Benoît : Le syndicalisme a vocation à se substituer aux dirigeants actuels.

Des syndicalistes de la CNT interpellent Serge Fleurence, Michael Delafosse et Hélène Mandroux, élus montpelliérains dans la manifestation du 27 mai 2010, sur l'absence de local (photo : Xavier Malafosse)Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Patrick : Nous réclamons toujours un local à la mairie pour pouvoir réellement exercer notre syndicalisme.
Benoît : On a fait une demande d’audience à Mandroux [maire de Montpellier], il y a quatre mois. J’appelle toutes les semaines la secrétaire de la direction de cabinet. [L'union locale a finalement rendez-vous en mairie le 5 juillet. Le rendez-vous est tombé après l'interview].

Montpellier journal a sollicité la CGT pour une interview dès le 25 juin. Nous sommes en attente d’une réponse.

Photos : dans le cortège de la manifestation du 27 mai 2010 à Montpellier (Xavier Malafosse)

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