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Le Mardi 22 mars 2011 à 15:26

Internationales de la guitare : 390 000 € de subventions et des interrogations


par Benoît Guerrée

Avec plus de 900 000 euros de budget global, le festival montpelliérain est presque systématiquement encensé dans la presse, sans que soit remise en question la manne financière au regard des autres manifestations culturelles, sa gestion humaine et artistique, ou son fonctionnement interne. Pourtant, le milieu culturel local critique largement – en coulisses – une quinzaine qualifiée d’onéreuse, peu cohérente artistiquement et défavorable aux acteurs de la région.

Talaat El Singaby le 4 février 2011 à Montpellier (Photos : Xavier Malafosse)Dans cet article, vous allez lire des informations que vous n’aurez pas lues ailleurs. Pensez à faire un don à Montpellier journal s’il vous a intéressé.

Un exemple de « la culture de prestige » à Montpellier. C’est ainsi qu’Antoine Pereniguez, directeur du cinéma indépendant Diagonal à Montpellier voit les Internationales de la guitare (IG).

Les IG ont été créées en 1996 par Talaat El Singaby, toujours directeur en 2011 et ancien président de l’association Confluences, laquelle organise la manifestation culturelle et récolte les subventions. Si le festival est financé à environ 40% par la vente des places de concerts (source : IG), le montant total des subventions publiques s’élève à 390 000 euros, auxquelles s’ajoutent les diverses, nombreuses et conséquentes aides « en nature » accordées. Cela inclus par exemple le prêt de salles, de matériel ou de supports publicitaires comme les 400 espaces offerts par la ville de Montpellier.

Dans le détail, la région Languedoc-Roussillon (135 000 euros), la ville de Montpellier (110 000 euros), le conseil général de l’Hérault (50 000 euros), l’agglomération de Montpellier et la direction régionale des affaires culturelles (30 000 euros chacun) représentent les principales sources de subventions publiques. Selon le festival, le budget global est complété par 57 000 euros de subventions privées et le reste provient des ventes de billets. Nous avons demandé à plusieurs reprises à pouvoir consulter le bilan de l’association, sans succès.

Jazz à Sète reçoit huit fois moins d’argent de la région
Ces chiffres très élevés sont supérieurs à tous les festivals locaux, excepté le festival Radio France. Pour comparer, nous avons choisi deux festivals qui ont une reconnaissance nationale égale ou supérieure, qui accueillent des artistes renommés et de qualité : Jazz à Sète et Jazz à Junas. Jazz à Sète reçoit huit fois moins d’argent de la part de la Région (17 000 euros) et près de 10 fois moins de la part du conseil général (5 000 euros). À propos de ces chiffres Antoine Pereniguez de Diagonal commente : « Il y a d’énormes masses d’argent sur les nantis et rien aux pauvres. Ce n’est pas normal. »

Cette année, parmi 12 « grands concerts » contre 18 pour les IG, Jazz à Sète a proposé des pointures hors normes comme George Benson, Herbie Hancock ou encore Angelo Debarre (1), soit une programmation du même niveau général que les IG. Parallèlement, le festival Jazz à Junas reçoit pour l’ensemble de son travail sur une année entière 70 000 euros de la région + 15 000 euros pour leurs actions pédagogiques dans les lycées. Avec 55 000 euros de moins, Junas a programmé 43 concerts en 2010, durant l’été mais aussi en saison. Beaucoup d’artistes régionaux mais également des stars internationales comme Al di Meola (2) ou Dave Liebman (3), des expositions photographiques, projections de film, etc. Sébastien Cabrié, directeur de Jazz à Junas réagit : « Pour moi le festival est indissociable de sa saison. » Son homologue à Jazz à Sète, Louis Martinez ajoute : « Je m’étonne que nous soyons aussi peu aidés par les institutions après 25 ans d’existence et 20 éditions. »

55 € pour voir Paco de Lucia
Malgré ces différences, à titre d’exemple, un concert d’Al Di Meola devant 1000 personnes à Junas coûte 22 euros en plein tarif avec en première partie la référence new-yorkaise Ellery Eskelin contre 55 euros aux IG pour Paco de Lucia, sans première partie, au Zénith et ses 2 000 places. Le coût de la location du Zénith n’explique pas à lui seul cette différence de prix, d’autant qu’Enjoy, qui gère le Zénith, refuse de nous le donner.

Peut-on, pour autant, parler de discrimination ou de favoritisme dans une région où Georges Frêche  a longtemps fait la pluie et le beau temps, y compris culturel ? « Talaat El Singaby a été un fidèle de Georges Frêche. Il a participé activement à la dernière campagne des régionales », explique Jacques Molénat, journaliste à Marianne et à l’Express et spécialiste des réseaux d’influences locaux dont la franc-maçonnerie. Il ajoute : « Il est membre de la Grande Loge de France. À coup sûr ça élargit son champ relationnel et donc son influence ». Jacques Atlan, vice-président chargé de la culture au conseil général (seule collectivité locale qui ait bien voulu nous rappeler à ce sujet), assure que « les liens politiques de Monsieur El Singaby n’ont rien à voir dans le montant des subventions ». Concernant le rapport de 1 à 10 avec Jazz à Sète, il précise : « Là vous me prenez de court. Si on commençait à faire tous les rapports entre les festivals… »

« Georges Frêche était un ami »
D’ailleurs, la région donnait 50 000 euros à Confluences sous Jacques Blanc en 2004 contre plus de 2,5 fois plus en 2010. Questionné sur ces sujets, Talaat El Singaby répond : « Je suis simple membre du Parti socialiste [section Montpellier centre]. J’ai été maoïste, Georges Frêche était un ami mais je suis en dessous de ce que je mérite. » Comprendre : en terme de subventions. Il ajoute : « Les francs-maçons ne sont pas toujours aussi solidaires qu’on le dit, je n’ai rien obtenu par le biais d’un réseau. ». Il dément par ailleurs appartenir à la franc-maçonnerie.

Les effectifs du festival reposent sur 26 stagiaires et bénévoles contre 4 salariés. Les six stagiaires « sont là pour six mois environ et sont indemnisés à hauteur de 400 euros par mois pour 28 heures hebdomadaires. On les change chaque année », explique Talaat El Singaby. De plus, environ trois quarts des bénévoles ne reviennent pas l’année suivante, chiffre confirmé par Vanessa Keush, salariée chargée de communication du festival depuis 2009 : « C‘est vrai qu’ils reviennent peu mais j’ai connu une personne qui est revenue quand même, en plus d’un retraité qui est là depuis le début. »

« Humiliations répétées »
Julie (4), bénévole, tient son explication. « L’ambiance est très mauvaise mais, au moins, on se serre les coudes ! » Elle parle avec force d’« humiliations répétées, faites en présence de public », confirmées par d’autres sources concordantes. Les colères de Talaat El Singaby ne passent pas inaperçues, comme lors d’un concert au théâtre Jacques Cœur à Lattes en 2009 où il avait insulté, devant 300 témoins, une des membres du festival. Les IG précisent « qu’il y a toujours beaucoup de pression lors d’un gros festival, c’est normal » mais ne souhaitent pas répondre aux accusations d’humiliations. Par ailleurs, une ancienne salariée a intenté une action devant le tribunal des prud’hommes, entre autres pour travail dissimulé. L’audience est prévue en avril.

Autre point obscur et décrié dans le milieu : le traitement des artistes dans tous les sens du terme. Selon Talaat El Singaby, une star comme Paco de Lucia touche un cachet de 55 000 euros, « car c’est un ami » pour sa venue au Zénith. Cependant, les acteurs locaux font grise mine : « Nous avons refusé de jouer pour eux car ils nous proposaient 75 euros nets par personne [cachet légal minimum] », explique un groupe montpelliérain reconnu. Ils ne souhaitent pas être cités de peur des représailles, comme nombre de leurs collègues : « Nous ne voulons pas être grillés sur Montpellier. C’est une petite ville… » À noter que le cachet minimum proposé par Jazz à Junas est de 180 euros net pour les artistes les moins connus et de 400 euros pour un artiste régional plus visible.

Pas déclarés
Plus grave et illégal, de nombreux artistes programmés dans les Maisons pour tous dénoncent également ne pas avoir été déclarés par un cachet ouvrant des droits sociaux mais « indemnisés » par les IG, c’est-à-dire uniquement défrayés. Le règlement s’effectuait alors après le concert en échange d’un simple reçu. Le festival dément.

Le festival se félicite de son « action dans les quartiers et les bars musicaux » mais les personnes concernées ne sont pas toutes du même avis, à l’image de Guillaume Bénézech, du Café de l’Esplanade : « Nous avons refusé car nous devions tout organiser, y compris le concert et le paiement des artistes mais en échange, nous n’avions qu’une ligne dans leur plaquette. » Au final, le bénéfice d’une myriade de concerts revient aux IG mais cela ne leur coûte rien. Ils intègrent dans leur programmation « Montpellier se fait Label » des concerts qu’ils n’organisent pas. Propos confirmés par de nombreux artistes dont Aurélien Besnard, clarinettiste de renom et fondateur du collectif Rude Awakening. Thierry Anger du Baloard affirme : « Je ne travaillerai plus jamais avec eux. Ils agglomèrent des événements pour gagner en surface. On doit tout faire et il n’y aucune cohérence artistique car c’est du marketing. C’est à l’image de l’action culturelle de la Mairie. »

Pour ce qui est des quartiers dits populaires, la mairie ne leur octroie que 4 000 euros sur les 110 000 qu’elle a donnés cette année au festival. Il y a bien d’un côté une utilisation largement majoritaire des fonds pour les stars surpayées qui jouent en centre-ville pour un public aisé (prix des billets : 28,30 euros de moyenne, en  incluant les tarifs réduits) et de l’autre, de faibles sommes allouées aux artistes régionaux, mal payés, dans les Maisons pour tous aux tarifs très accessibles. À ce sujet, Michael Delafosse, adjoint à la culture de la mairie de Montpellier n’a pas souhaité réagir. Mais Patrick Vignal, adjoint à la proximité, juge sévèrement la politique culturelle de sa propre majorité : « Je veux des grands concerts dans les quartiers et pas au Zénith ou au centre, et les 4 000 euros qu’on a donnés, c’est des cacahuètes ! »

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(1) George Benson a été l’un des pionniers de la guitare jazz dans les années 60-70′s avant de sombrer dans la musique à usage commercial après le succès de son tube Give Me The Night. Herbie Hancock est le maître absolu des claviers funk : de Miles Davis à ses Headhunters, il est aujourd’hui samplé partout dans le monde. Angelo Debarre est l’une des dix rares références mondiales en jazz manouche.
(2) Guitar-hero de jazz-fusion, 4 fois couronné meilleur guitariste de par le magazine Guitar Player. Il a enregistré un chef d’œuvre avec… Paco de Lucia et John Mc Laughlin (1980)
(3) Saxophoniste de Miles Davis dans les années 70′s, majeur sur On The Corner, le premier album de jazz-funk. Également fondateur du mythique Quest, aujourd’hui reformé.
(4) Le prénom a été modifié


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2 commentaire(s)

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  1. Matthieu said
    on 24 mars 2011

    à 0 h 12 min

    Bonjour,

    Bravo pour cet article. Le schéma social actuel en France et dans bon nombre de pays (richesses concentrées dans les mains d’un petit nombre de personnes) se voit ici conforté sur le plan culturel. Il est en effet regrettable d’assister à une « centralisation » du budget de la culture sur un évènement. Tous ces fonds pourraient servir à développer diverses structures honnêtes agissant vraiment pour le développement culturel local. Ces choix politiques sont honteux.

    J’espère que cet article sera lu par les personnes concernées de près ou de loin et qu’il donnera suite à un débat ouvert sur les choix des politiques culturelles actuelles.

    Encore merci

    Matthieu

  2. Jonolito said
    on 27 mars 2011

    à 22 h 32 min

    Bravo !
    En tant que musicien, j’en ai entendues des histoires louches sur ce festival ! Les artistes locaux sont surexploités, et souvent pas du tout payés, sous prétexte que jouer en première partie d’untel leur offre une vitrine… J’en connais même à qui on n’a pas proposé un repas ou même un sandwich avant le concert, ce qui se fait traditionnellement.
    Donc encore merci de dénoncer ces abus manifestes !