Skip to content


Le Lundi 11 mai 2009 à 21:29

Quand le PC était soupçonné d’avoir été acheté par la CGE (Veolia)


Avec le lancement de la mission d’information sur la gestion de l’eau à Montpellier, revient en mémoire une affaire de « trafic d’influence » et de « corruption ». L’enquête visait les moyens utilisés par la Compagnie générale des eaux (aujourd’hui Veolia) pour obtenir les marchés de l’eau dans plusieurs villes françaises. Dont Montpellier. À l’époque les regards s’étaient tournés vers des élus communistes.

En conseil municipal le 4 mai 2009 (photo : Mj)Normalement, la mission municipale d’information sur l’eau a pour objectif d’évaluer la gestion de Veolia dans le cadre du contrat d’affermage signé en 1989 et pas les magouilles éventuelles dans l’attribution du marché à la multinationale. Pourtant, deux déclarations récentes posent question. La première c’est celle d’Hélène Mandroux à L’Agglorieuse (29/04) : « Je ne suis pas contre le fait que la mission sur l’eau fasse appel à un cabinet extérieur pour une évaluation complémentaire, mais j’ai toute confiance en mes services pour réaliser un audit de qualité. Tous mes cadres sont des nouveaux venus à la mairie, ce qui garantit leur totale objectivité. » Jusque là, le raisonnement du maire de Montpellier se tient : les fonctionnaires municipaux sont nouveaux et ne peuvent donc être tenus pour responsables d’un mauvais contrôle de la gestion de Veolia.

« Au Jardin des sens avec Veolia »

Sauf qu’il y aussi une déclaration de Serge Fleurence, premier adjoint (PS) en conseil municipal du 4 mai assez similaire mais plus explicite : « J’indique aussi, parce que ça c’est important, qu’on a quand même demandé aux services de la ville de faire une expertise. Parce que nous n’avons aucune raison de mettre en doute, et les compétences, et l’objectivité, et la neutralité des fonctionnaires de la mairie de Montpellier. En plus, il faut que vous le sachiez, que ce ne sont que des jeunes très compétents, très dynamiques et qui n’étaient pas là en 89 donc on ne peut pas les soupçonner d’avoir…été manger au Jardin des sens [restaurant très haut de gamme de Montpellier] avec Veolia. »
Écouter le son :

Cette fois le raisonnement est très clair : les nouveaux venus n’étaient pas là à l’époque de l’attribution donc ils ne peuvent être soupçonnés d’avoir été corrompus. On pourrait, malicieusement, en déduire que ceux qui étaient présents en 1989 pourraient donc être soupçonnés. Mais ce qui étonne surtout, c’est que ni les Verts, ni le collectif Eau secours 34, à l’origine de la demande de la mission d’information, n’ont jamais indiqué – du moins publiquement – qu’ils souhaitaient s’intéresser aux conditions d’attribution. La question qui vient naturellement ensuite est donc : Serge Fleurence, qui était élu communiste en 1989, craint-il que la mission découvre des choses inavouables concernant l’attribution du marché ?

« Commissions » occultes
Il est vrai que Montpellier, comme d’autres villes, a été au centre d’une affaire de « trafic d’influence » impliquant la Compagnie générale des eaux (ancêtre de Veolia) et le Parti communiste. C’est suite à une perquisition au siège parisien de la CGE, le 14 mars 1994, dans le cadre d’une affaire de Pot-de-vin à la Réunion, qu’un juge d’instruction tombe sur des documents relatifs aux méthodes utilisées par la CGE pour décrocher certains marchés. Voici ce que les juges ont alors suspecté : la CGE aurait acheté les votes d’élus communistes et, parfois, le calme de syndicalistes de la CGT en contrepartie de « commissions » occultes versées à des sociétés filiales du bureau d’étude Gifco réputé proche du PC. A la charge du Gifco de reverser au PC les sommes récoltées. Problème : même si les liens financiers entre la CGE et le Gifco ont été établis, la justice n’a jamais réussi à remonter jusqu’au PC. Du coup, Robert Hue, président du PCF, a été relaxé le 14 novembre 2001.

À Montpellier, lors du vote du contrat d’affermage en conseil municipal du 25 juillet 1989, les élus PC optent pour une « abstention vigilante » selon le terme de Jean-Claude Biau, alors adjoint au maire. Plusieurs militants communistes de l’époque se souviennent que ce vote avait « secoué » à l’intérieur du parti dont les militants ne portent pas les multinationales dans leur cœur et qui sont de fervents défenseur du service public. « Abstention vigilante » qui, selon Midi Libre (27/07/89), « a fait hurler dans les porte-voix le dernier carré nocturne de syndicalistes. « À la soupe, à la gamelle. »«  Jean-Claude Biau, quant à lui, expliquait ce vote par les investissements à réaliser sur un « réseau vétuste » et la volonté de ne pas recourir à l’emprunt et ainsi éviter d’« accentuer la pression fiscale sur les habitants ». Tout ceci en ayant pris soin au préalable de rappeler la « position de principe du PC » : « opposition à toutes privatisations ». Bref, un grand exercice d’équilibriste confirmé, 20 ans plus tard, par Michel Passet, président du groupe communiste au conseil municipal. C’est le même Michel Passet qui nous affirme, qu’à l’époque, il n’y a eu « aucun problème » avec les élus communistes dans l’attribution du marché à la CGE. Écouter le son (propos recueillis le 4 mai 2009) :

« Une forme de racket »
Côté CGE, le son de cloche est un peu différent : « Quelles que soient les précautions que j’ai pu prendre, quelle que soit la vigilance des dirigeants régionaux et des dirigeants de filiales de la CGE, il est peu probable que nous soyons arrivés à éviter une certaine forme de racket de la part des sociétés composant le groupe Gifco », déplore (Le Monde 15/04/1995) Jean-Dominique Deschamps, directeur général adjoint de l’entreprise lors de sa garde à vue alors qu’il est mis en examen pour « trafic d’influence, faux et usage de faux et corruption ».

Du côté du PC, Claude Llabres, un « rénovateur » et ancien secrétaire fédéral de Haute-Garonne se confie à Libération (17/10/1996) : « Ces bureaux d’études sont une création du PCF à l’origine pour aider l’Union soviétique et en recevoir des subsides, et aujourd’hui pour drainer de l’argent noir jusqu’au parti. Ce qui différencie le PCF des autres, et qui l’a longtemps protégé des investigations policières, c’est sa centralisation. [...] J’appelais les élus de confiance pour leur dire de choisir telle entreprise, jusque parfois la veille des commissions d’appel d’offres. J’ai connu des communistes qui refusaient. Les autres ne posaient pas de question. Ce qui était bon pour le parti était obligatoirement moral. » (Lire l’intégralité de l’édifiante interview sur le site de Libération) Trois ans plus tard, c’est Claude Poperen, un des « reconstructeurs » communistes qui en remet une couche (Libé, 1/10/1999) : « Je savais que ces choses-là se faisaient. Je partais du principe qu’il fallait en savoir le moins possible. Les cotisations, les souscriptions, ça ne faisait pas le compte. Au niveau des effectifs, leur nombre véritable n’était connu que d’un petit nombre de gens. J’arrivais à la moitié du chiffre annoncé officiellement. »

« 8 millions de francs »
Et donc rien à Montpellier. Pas tout à fait quand même. Le DG adjoint de la CGE évoque ses relations avec Jacques Grosman, le patron du Gifco, (Libé, 1/10/1999) : « Je crois que c’est M. Grosman qui m’a parlé de Montpellier car les élus communistes et sympathisants n’adhéraient pas à cette « privatisation des eaux ». M. Grosman m’a proposé un appui fort. Il a demandé pour cela 8 millions de francs. » Ce que confirme Bernard Franck, directeur de la CGE pour le Languedoc Roussillon jusqu’en 1993. Celui-ci aurait confié, pendant sa garde à vue les 18 et 19 avril 1995, selon Libération (26/04/1995) que « les fonds versés visaient à convaincre les représentants de la mouvance communiste parmi les élus, qui se sont abstenus lors du vote du conseil municipal, et au sein du personnel, qui n’a guère manifesté. » Dans la même édition, Libération communique aussi le détail d’une note de Bernard Franck à Jean-Dominique Deschamps : « Voici où nous en sommes de la discussion: 1) Demande de départ: 14, 9 millions de francs. 2) Calcul minimum: 7, 45 millions de francs. 3) Calcul honnête: 9, 39 millions de francs. 4) Accord possible forfait global 8 millions de francs. » Le quotidien qui a visiblement eu accès au dossier d’enquête, révèle même le détail final : 3,6 MF pour l’assainissement et 4,4 MF pour l’eau. Le premier pour Languedoc-Roussillon Equipement ( LRE ) et le second pour Sicopar, autre société du groupe Gifco.

Dans une note écrite de sa main, Jean-Dominique Deschamps évoquait même « l’affaire de Montpellier (où tout est clair avec les élus qui le savent) » (Libé 3/10/2000). On n’a jamais eu confirmation que des élus savaient et, si c’était le cas, quelle était l’identité de ces élus. De toute façon, comme l’avait déclaré Robert Hue en 2000 lors de son procès, le financement du PC était assuré par « les ventes du muguet du 1er mai » (Libé, 2/10/00) qui permettait de collecter 10 MF (1,5 M€) en une journée (AFP, 1/05/02). On l’a vu, ce n’est pas la version de MM Llabres et Poperen. Quant à Georges Frêche, le maire de l’époque (1), il s’est bien entendu défendu de tout accord occulte avec la CGE (Libé, 27/02/95 et Le Monde 4/05/95) avançant notamment qu’il n’avait pas besoin de l’abstention des communistes pour faire passer le projet. Reste que Jean-Dominique Deschamps, le DG adjoint de la compagnie, a écopé, lui, de dix-huit mois de prison avec sursis. Preuve que la justice a bien trouvé des choses à reprocher à la CGE.

► Lire aussi :

► Et si vous souteniez, même modestement,
Montpellier journal
?

__________
(1) Et actuel président de l’agglomération de Montpellier qui est en train de récupérer la compétence eau potable aujourd’hui détenue par les communes composant la collectivité.


Publié dans Politique. Mots clés : , , , , , .

5 commentaire(s)

Suivre les commentaires de cet article

  1. pierrot le zygo said
    on 12 mai 2009

    à 19 h 43 min

    pas de fumée sans feu !
    A lodève à l’époque certains élus et personnel de la municipalité aprés l’attribution de l’assainissement par une entreprise privée avaient été invité au tournoi des 5 nations en irlande voir un match, hotel, resto,put.. aux frais de l’entreprise !

  2. Anonyme said
    on 12 mai 2009

    à 23 h 30 min

    N’oublions pas qu’à l’époque, le Corum était en construction, que le constructeur était une entreprise fortement liée à la CGE. Le budget de construction a naturellement explosé, et l’affermage de l’eau est arrivé à point nommé. Les deux affaires sont elles liées ? Un jour, peut-être, les langues se délieront. Dans l’histoire, les communistes pourraient bien avoir servi de fusible potentiel : dans cette hypothèse, Frêche, en cas de difficulté, aurait très bien pu détourner l’attention sur eux. Dans le même temps, le même Frêche a refait passer le personnel municipal aux 39 h. N’était-ce pas là aussi un conflit monté de toutes pièces pour faire diversion ? Deux sûretés valent mieux qu’une.

  3. Gypette said
    on 14 mai 2009

    à 22 h 53 min

    Beau travail de recherche par JOT il trouve étonnant la non prise en compte par les Verts et un collectif des cotés obscurs ayant aidé à la signature du contrat en
    1989. Sans la pression mise par ce collectif et les verts sur le Conseil Municipal pour créer une mission d’évaluation, aurait-il eu l’occasion d’écrire cet article ?

  4. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 14 mai 2009

    à 23 h 08 min

    Je n’ai peut-être pas été clair. Je voulais dire qu’Hélène Mandroux et Serge Fleurence ont fait référence aux conditions d’attribution du marché à la CGE alors même que les Verts et le collectif Eau secours 34 n’avait pas mentionné ce point comme objectif de la mission. D’où la question que je n’ai pas mentionnée : pourquoi ces élus l’ont-ils abordée ? Et la suivante qui est dans l’article : « Serge Fleurence, qui était élu communiste en 1989, craint-il que la mission découvre des choses inavouables concernant l’attribution du marché ? »

    Pour répondre à vos questions : non je ne me serai sans soute pas intéressé à ce sujet si les Verts et le collectif n’avait pas demandé une mission. Quoique. Le simple transfert à l’agglo de la compétence eau aurait quand même pu attiser ma curiosité. Mais si la question est : les citoyens – partis politiques, associations, etc. – jouent-ils un rôle essentiel dans les sujets traités par les journalistes et la façon dont ils les traitent ? Je vous réponds oui, sans hésiter.

  5. coquilette said
    on 20 mai 2009

    à 10 h 54 min

    les Verts de l’époque, menés par François Degas, qui n’étaient pas d’accord furent exclus par la suite du parti (vert ) par Paris, très naïf sur Frêche pour avoir voté Blanc (tout sauf Jojo) aux régionales – avec un accord écrit en 4 point, pas tous tenus par Blanc (pas de sous pour les autoroutes etc). Ce fut même la seule mandature où Blanc n’avait pas besoin du Front National : le contraire de ce qu’on croyait. Ces écolos exclus ont quand même arrêté le projet labo souterrain du plutonium à Marcoule – avec les viticulteurs.