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Le Mercredi 4 janvier 2012 à 13:17

L’endettement de la France en 1848 vu par Karl Marx


Le philosophe montpelliérain Jean-Claude Michéa exhume un texte de l’intellectuel allemand pour démontrer la pertinence de la critique socialiste du XIXe siècle. Un document d’une certaine actualité. (2/3)

Karl Marx en 1875 (photo : domaine public. Source : International institutre of social history, Amsterdam via Wikipedia)Dans cet article, vous allez lire des informations que vous n’aurez pas lues ailleurs. Pensez à faire un don à Montpellier journal s’il vous a intéressé.

Pour Jean-Claude Michéa, on l’a vu, la critique socialiste « élaborée entre 1815 et 1848 avait su capter quelque chose d’incroyablement exact de la logique du système dans lequel nous vivons ». À l’appui de sa démonstration, il a procédé, lors de sa conférence du 9 décembre, à la lecture d’un texte de Karl Marx, extrait de La lutte des classes en France, écrit, nous rappelle le philosophe montpelliérain, en 1850. « Ce livre, consacré à la révolution de 1848, commence par une description de l’état de la France sous Louis-Philippe en 1847 (juste avant la révolution) et qui va conduire à la révolution. » Soulignons que le texte a déclenché, à plusieurs reprises, des rires dans l’assistance.

« Chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie
une nouvelle occasion de rançonner l’État »

Marx (p24 du fichier pdf) : « L’endettement de l’État était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément le déficit de l’État, qui était l’objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l’État, au moyen d’opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. En général, l’instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d’État permettaient aux banquiers, ainsi qu’à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le résultat constant ne pouvait être que la ruine d’une masse de petits capitalistes et l’enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs.

[…]

L’aristocratie financière ?
« La résurrection du lumpenprolétariat
dans les sommets de la société bourgeoise »

Pendant que l’aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l’État, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l’opinion publique par la force des faits et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu’au café borgne se reproduisait la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s’enrichir, non point par la production, mais par l’escamotage de la richesse d’autrui déjà existante. C’est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l’assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c’est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l’or, la boue et le sang s’entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction. L’aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise. »

« Le Lumpenproletariat, chez Marx,
c’est la racaille, les délinquants des bas-fonds de la société »

Commentaire de Jean-Claude Michéa : « Le Lumpenproletariat, chez Marx, c’est la racaille, les délinquants des bas-fonds de la société. La droite critique les délinquants mais célèbre les banquiers, la gauche dit critiquer les banquiers mais cherche toutes les excuses aux délinquants, Marx disait : la mentalité d’un trafiquant de drogue ou d’un délinquant n’est pas très différente dans son imaginaire de celle d’un trader de Wall street. Sociologues de gauche et économistes de droite célèbrent à leur manière chacun le même type humain, poussé par le même imaginaire, la même soif de gain – sous des formes différentes parce que les uns engrangent par milliards les autres par centaines de milliers mais la logique est la même.

« Je vous ai lu ce texte mais il y en a comme ça
des centaines, des milliers »

Je vous ai lu ce texte mais il y en a comme ça des centaines, des milliers. C’est toute la littérature socialiste du début. Et alors je me pose la question : comment se fait-il que la gauche contemporaine officielle dans toute l’Europe – la seule exception ce sera en Amérique latine où les choses sont très différentes pour des raisons différentes, Bolivie, Équateur, Venezuela, etc. – telle qu’elle existe depuis 30 ans, celle qui se présente comme la seule force de changement, celle qui se définit curieusement comme la seule alternative concevable aux forces du passé – rappelez-vous mai 68 : « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi » ; or j’ai quand même plutôt l’impression que ce qui est derrière nous est moins inquiétant que ce qui est devant nous […] – comment se fait-il que cette gauche ait fini par considérer que ces trois critiques que je vous ai présentées étaient archaïques, dépassées, n’avaient plus aucun rapport avec le monde dans lequel nous vivons et qu’elles étaient même peut-être de nature à nous reconduire au goulag si jamais on avait l’idée de les reprendre à notre compte ?»

Écouter la lecture et le commentaire intégral (7’20’’) :

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Un commentaire

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  1. Dodji said
    on 4 janvier 2012

    à 23 h 43 min

    Je crois que le problème n’est pas le constat de la situation. Peu de gens à gauche seraient contre ce constat en général.

    Les vraies divergences d’opinion apparaissent à mon avis sur les solutions à apporter à ce problème. Cela était vrai à l’époque de Marx, et j’imagine que c’est encore plus vrai aujourd’hui.