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Le Mardi 2 juin 2015 à 17:45

Anticor met la pression au préfet sur les millions d’aides aux compagnies low cost


L’association demande au fonctionnaire d’attaquer, devant le tribunal administratif, une délibération de la métropole de Montpellier. Elle ouvre un second front devant la Commission européenne via la députée EELV Karima Delli. Enfin, Anticor n’exclut pas de porter plainte contre X pour « détournement de fonds publics, trafic d’influence et délit de favoritisme ». Si Hervé Martin (ex-PCF) continue de donner de la voix pour dire son opposition à ces subventions, René Revol (Parti de gauche) et Mustapha Majdoul (EELV) n’ont pas voté contre et sont restés silencieux sur le sujet. (1 900 mots)

Par Jacques-Olivier Teyssier

Pierre de Bousquet de Florian, préfet de l'Hérault, le 22 octobre 2014 (photo : J.-O. T.)

« Je suis parisien, ça fait quinze ans que je vis ici et je suis vraiment abasourdi par les choses qui se passent ici. C’est absolument incroyable ! J’étais persuadé que compte-tenu de ce qu’on avait dit, que ce que la chambre régionale des comptes avait dit, de ce que M. le préfet avait dit, ils n’auraient pas la stupidité d’aller revoter ces subventions. » C’est ainsi que réagit Laurent Dublet du groupe de l’Hérault de l’association Anticor, au vote par le conseil de métropole du 28 mai de la « subvention » de 550 000 € à l’Association de promotion des flux touristiques et économiques (APFTE), utilisée comme artifice juridique pour subventionner les compagnies aériennes low cost et au premier rang desquelles Ryanair.

Moult moulinets de Philippe Saurel
Philippe Saurel, lors des conseils de métropole des 31 mars et 28 avril, avait effectué moult moulinets autour de cette subvention. Il avait même demandé son « avis » à la Chambre régionale des comptes (CRC) et avait annoncé que s’il n’avait pas de « veto catégorique » de la CRC, il verserait la subvention (1). Puis ce qui devait arriver, arriva : la CRC dont le rôle n’est pas et n’a jamais été de donner des avis et encore moins des veto, n’en a pas signifié un à Philippe Saurel. On peut également s’étonner que le président de la métropole n’ait pas plutôt questionné le service du contrôle de légalité de la préfecture dont le rôle – comme l’indique d’ailleurs son intitulé – se rapprochait plus du besoin d’éclairage juridique du président.

Reste qu’avant le vote du 28 mai, le président de la métropole s’est bien gardé de lire intégralement la réponse de la CRC et s’est contenté de rapporter à propos du courrier : « En substance voilà ce qui est dit : les subventions versées par les collectivités reposent sur des bases juridiques discutables. Et le président de la CRC a demandé aux magistrats en charge du contrôle de notre collectivité de traiter cette question dans notre rapport d’examen en cours. Ce qui veut dire en clair que je n’ai pas d’interdiction formelle de la part de la CRC de verser la subvention. » (vers 45′ de la vidéo)

Pas un mot de Philippe Saurel sur la Commission européenne
Il serait pourtant bien étonnant que la CRC n’ait pas rappelé sa position exprimée dans un rapport rendu public en mai 2013, sur exactement le même mécanisme que celui utilisé par la métropole : « La compatibilité de ces aides avec le droit européen est déterminée par la Commission européenne à laquelle les aides doivent être préalablement notifiées. À défaut, celles-ci sont illégales. » Mais pas un mot – pas un mot ! – de Philippe Saurel sur ce point central lors du conseil du 28 mai.

Il a préféré laisser répondre sa vice-présidente à la question insistante du conseiller (ex-PCF) Hervé Martin. Chantal Marion : « En 2014, ce n’est pas une subvention mais un marché de prestations de marketing donc il n’y a pas de notification obligatoire à l’Europe. Si ça devait être, ça serait à l’association de porter cela et pas à la métropole. » Hervé Martin fait alors remarquer qu’il s’agit d’un vote sur une subvention et qu’on est en 2015. Philippe Saurel coupe court au débat en  mettant aux voix la délibération qui a été adoptée à une très large majorité (vers 1h12 de la vidéo).

Le précédent de l’aéroport de Pau
La déclaration de Chantal Marion est pour le moins étonnante. En effet, comme le souligne Laurent Dublet d’Anticor, un cas similaire a déjà été tranché par la Commission européenne. Celui de la CCI de Pau et de l’aide accordée à une filiale de Ryanair « sous la forme d’un contrat de services marketing ».  Et la Commission l’a enregistrée « dans le registre des aides illégales » (décision du 23 juillet 2014). Sans compter qu’en juillet 2014, il s’agissait bien d’une subvention versée par l’agglo à l’APFTE et non d’un « marché de prestations ».

Par ailleurs, interrogée par Montpellier journal, la Commission a déclaré le 1er juin que la notification des aides à la Commission devait être faite « par les états membres ». Donc ce serait bien aux collectivités concernées de notifier et pas à l’association comme l’a dit Chantal Marion. C’est d’ailleurs aussi la position de Jean-Yves Labattut, président de l’APFTE : « Je n’ai vu aucun texte qui dise que c’est à l’association de notifier à la Commission européenne. Moi je pense que c’est aux collectivités. » Une position partagée par Anticor.

Rappelons que la Commission a confirmé à Eva Joly, députée européenne (EELV), ce qu’elle avait déjà écrit à Montpellier journal à savoir qu’elle n’avait pas reçu de notification pour les aides depuis la création de l’APFTE en 2010. Et donc que celles-ci seraient « illégales » si on en croit la chambre régionale des comptes dont les rapports sont adoptés, rappelons-le, de façon collégiale par les magistrats.

Courrier d’Anticor au préfet
Mais les collectivités et l’APFTE regardent ailleurs. Anticor se tourne donc maintenant vers le préfet de l’Hérault et lui demande dans un courrier daté du 1er juin, de déférer la délibération votée le 28 mai par la métropole devant le tribunal administratif afin de la faire annuler conformément à la loi. Anticor joint à son courrier un rapport de 19 pages dans lequel elle présente les arguments juridiques visant à démontrer l’illégalité des aides versées au regard du droit européen.

Autre front ouvert par Anticor : la saisie de la Commission européenne par la députée européenne (EELV) Karima Delli « dès ce mardi 2 juin 2015 », selon Laurent Dublet. L’équipe de la députée précise à Montpellier journal qu’un dossier va être déposé « cette semaine » à la direction générale des transports de la Commission et qu’une rencontre est prévue avec son directeur « la semaine prochaine ». Soulignons au passage qu’il est possible à toute personne de déposer une plainte via un formulaire Internet « pour dénoncer une mesure ou une pratique imputable à un État membre qu’elle estime contraire à une disposition ou à un principe de droit européen ». Enfin, Anticor considère que, dans cette affaire, il y aurait « plusieurs infractions pénales » et réfléchit au dépôt d’une plainte contre X au procureur de la République de Montpellier pour « détournement de fonds publics, trafic d’influence et délit de favoritisme ».

Étude précise demandée par l’APFTE
Jean-Yves Labattut de l’APFTE se veut lui serein et dit disposer d’une « note précise d’une avocate à Bruxelles qui est spécialiste dans ce domaine, qui a fait une étude précise de nos contrats, de nos appels d’offre et on est tout à fait conformes au droit européen ». Quand on lui cite le cas de Pau, le président de l’association avance le fait qu’à Montpellier ce n’est plus la CCI (comme à Pau) qui achète les contrats de prestations marketing mais l’APFTE. « Ce qu’on avait trouvé de mieux en 2010 avec le préfet Baland, c’était de faire ce genre d’association. »

Anticor ne partage pas cette analyse et considère que l’APFTE est « assimilable à l’État ou ses collectivités locales du point de vue du droit européen des aides d’État ». Si on additionne les subventions versées depuis des années par plusieurs collectivités, ce sont quand même au moins 10 M€ d’argent public qui sont en jeu. D’autant que si les subventions étaient considérées comme illégales, la Commission pourrait, comme elle a fait dans le passé, demander qu’elles soient remboursées par les bénéficiaires.

Quand René Revol votait contre
Du côté des élus, seuls le FN et Hervé Martin ont voté contre la délibération du 28 mai. René Revol (Parti de gauche) qui, en 2010, disait pourtant être « défavorable aux subventions aux compagnies Low cost » et votait contre, s’est abstenu en 2015. Mais on ne saura pas pourquoi car, lors des trois conseils de métropole où cette question a été abordée, il n’a pas pris la parole. Le maire de Grabels et vice-président de la métropole depuis avril 2014, s’était déjà abstenu lors du précédent vote le 31 juillet 2014 et avait expliqué à Montpellier journal le 5 septembre : « Je me suis abstenu parce que je veux étudier le dossier. Je ne le connaissais pas. » Il avait aussi évoqué son interrogation : « Dans cette subvention, quelle est la part qui est consacrée aux compagnies low cost ? »

Or l’APFTE ne fait pas grand mystère du fait que la majorité de ses achats vont aux compagnies low cost : 50 % des aides iraient à la seule Ryanair, selon Jean-Yves Labattut, « au début c’était 100 % » et pour 2015 les achats de prestation aux trois compagnies Easyjet, Germanwings et Ryanair représenteraient « environ 70 % du total ». Le reste allant à KLM et Alitalia. Anticor avance, quant à elle, le chiffre de « 80 % » depuis 2010 pour la seule Ryanair.

« Il est temps de les suspendre définitivement »
Si on n’a vu aucune communication récente – depuis l’élection de René Revol comme vice-président de la métropole ? – du Parti de gauche de l’Hérault pour déclarer son opposition à ces subventions, EELV Languedoc-Roussillon a publié le 29 avril un communiqué de presse où il est notamment écrit : « Entre 2010 et 2013, Ryanair a ainsi touché, par l’intermédiaire de l’APFTE, plus de 6 millions d’euros d’argent public via une filiale basée dans l’Île de Man, un paradis fiscal ! Ces subventions, directes puis déguisées, ne sortent cependant pas de nulle part. Notre parti les dénonçait déjà en 2009 ! Mais il est temps de les suspendre définitivement. » Mustapha Majdoul qui fait pourtant parti d’EELV, n’a pas non plus dit un mot sur le sujet lors des trois conseils de métropole et n’a fait que s’abstenir lors du vote du 28 mai. Un vote pas vraiment de nature à « suspendre définitivement » ces subventions.

Interrogé sur les abstentions des deux élus dont les partis sont opposés aux compagnies low cost, Hervé Martin répond : « Je n’ai pas de réaction. Je rappelle juste que, y compris quand j’étais vice-président de l’agglo, y compris quand Georges Frêche était président – et ce n’était pas un tendre – avec le groupe communiste, on tenait la position que je tiens aujourd’hui. » Notons, en revanche, qu’au conseil général, les élus PCF s’abstenaient arguant de leur appartenance à l’exécutif.

Pas d’aides, pas de lignes ?
Quant à l’utilité des subventions, Hervé Martin s’interroge : « On n’a aucune idée des retombées réelles. » Si l’élu ne conteste pas le fait que chaque passager dépense une certaine somme dans la région (entre 150 € et 300 € selon Jean-Yves Labattut), il conteste « que ce soit grâce à ces actions marketing que les gens viennent ». De plus, il n’existe aucune étude qui démontre que les compagnies aidées amènent réellement un surplus de passagers qui ne viendraient pas si les lignes n’existaient pas. Ensuite, est-on bien sûr que, si elles n’étaient pas aidées, ces lignes n’existeraient pas ? Et si elles n’existaient pas, est-on bien sûr que les passagers n’emploieraient pas un autre moyen de transport ? En période de disette budgétaire, des réponses à ces questions pourraient être utiles.

Hervé Martin ajoute : « Je suis vraiment outré que les tenants du libéralisme viennent nous expliquer qu’il y a trop d’impôts en France et quand on ose dire quil ne faudrait pas payer ces subventions, les mêmes nous disent qu’on est contre le développement économique. Ce sont ceux qui veulent payer le moins d’impôts qui réclament plus de subventions pour un travail qu’ils ne réalisent même pas. » L’élu vise les entreprises concernées et souligne que l’argument du développement économique est également avancé, par exemple, par Alex Larue (UMP). Il l’est aussi bien sûr par Jean-Yves Labattut et tous les défenseurs de ces subventions. Le libéralisme économique et la fameuse « concurrence libre et non faussée » ont leur limite.

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(1) Semblant indiquer par là même que sa décision personnelle valait vote du conseil de métropole, pourtant le seul, d’après la loi, en capacité d’approuver la subvention.

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Publié dans Accès libre, Environnement, Politique, Social. Mots clés : , , , , , , , , .

6 commentaire(s)

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  1. JED said
    on 2 juin 2015

    à 22 h 01 min

    Ainsi, il semblerait que René Revol, 5 ans après avoir déclaré qu’il était contre les subventions aux compagnies low-cost, puis 1 an après avoir déclaré qu’il n’avait pas étudié le dossier, n’ait toujours pas eu le temps d’examiner la question. Craindrait-il de fâcher son nouvel ami Saurel dont il disait pis que pendre avant les dernières élections municipales ?
    JOT écrit (ex-PCF) quand il cite Hervé Martin. Ce dernier aurait-il démissionné du PCF? On se souvient qu’Hervé Martin a été élu conseiller municipal PCF de Montpellier sur la liste Moure, en opposition à la liste concurrente présentée par le Front de Gauche. Il se trouve ainsi en opposition au groupe saurelien de centre droit, et ses déclarations sur cette question d’argent public versé de manière indirecte aux low-cost, semblent d’orientation beaucoup plus antilibérale que quand Hervé Martin appartenait à la majorité PS, tendance Mandroux. Bref, pas mal de confusion dans les positions successives de certains élus.

  2. JED said
    on 2 juin 2015

    à 22 h 12 min

    Quant à Mustapha Majdoul (EELV), j’avais demandé à la responsable de Montpellier d’EELV si, contrairement à ce qu’il semblait, il avait bien voté, en accord avec les positions de son parti, contre l’extension de la vidéosurveillance à Montpellier. Je n’ai pas reçu de réponse.

  3. Jacques-Olivier Teyssier said
    on 3 juin 2015

    à 0 h 11 min

    Mustapha Majdoul était absent à cette séance du conseil municipal. L’élu qui le représentait a néanmoins voté pour. En effet, seul Hervé Martin s’est abstenu. Tous les autres élus ont voté pour l’installation de 11 nouvelles caméras.

  4. hmartin said
    on 3 juin 2015

    à 19 h 13 min

    Monsieur « JED », je vous confirme que suite à des divergences de fond avec la section montpelliéraine du PCF j’ai en effet quitté ce parti, ce qui ne m’empêche nullement d’entretenir des relations tout à fait cordiales à la fois avec la section et avec la fédération. Je suis maintenant membre du Mouvement des Progressistes, initié par Robert Hue, mouvement dans lequel je garde intacte ma pensée communiste tout en considérant d’une façon différente du PCF la question du rassemblement de la gauche.
    A propos du financement des lignes low cost, cela fait 6 ans que je tiens la même position, et ne suis donc pas plus antilibéral aujourd’hui qu’hier ou plus libéral hier qu’aujourd’hui. Comme le rappelle Mr Teyssier dans son article je votais déjà contre lorsque j’étais vice président de l’agglomération sous la présidence de Mr Frêche puis de Mr Moure, ou conseiller municipal de Mme Mandroux.

  5. JCF said
    on 4 juin 2015

    à 0 h 06 min

    Merci à nos élus de financer ces compagnies low cost, qui chaque année augmentent les dividendes des actionnaires. Il manque toujours d’argent publique, pour améliorer la vie quotidienne des citoyens, logement, transports, aide au plus démunis, culture etc.
    Lorsqu’on connaît les conditions de travail du personnel des compagnies low cost et les bénéfices 2014 de Ryanair : 867 millions d’euros, de Easy Jet 729 millions d’euros,ce vote honteux ne fait pas honneur à nos élus. Il faut dire qu’ils ne reculent devant rien, s’octroyant 8% d’augmentation de leur indemnités quand salaires et retraites sont bloqués depuis des années et que la pression
    fiscale n’a jamais été aussi forte.

  6. JED said
    on 4 juin 2015

    à 16 h 56 min

    Merci Hervé Martin pour votre mise au point. Je n’évoquais pas vos votes spécifiquement sur la question des subventions aux low-cost, mais l’attitude générale des élus PCF au cours du mandat municipal précédent. Ces élus s’opposaient rarement aux décisions libérales de la majorité socialiste, ce qui gênait beaucoup les élus Front de Gauche Anne-Rose Le Van et Francis Viguié.