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Le Mercredi 30 septembre 2015 à 19:43

Vers un jumelage de Montpellier avec Nice ?


Ce qui frappe à la lecture d’un chapitre du livre Informer n’est pas un délit, ce sont les similitudes de certaines pratiques entre les deux villes. Au point qu’on se demande si un rapprochement ne serait pas pertinent. L’ouvrage co-écrit par 16 journalistes – dont Montpellier journal - décrit plus généralement comment le droit d’informer est trop souvent attaqué. Et donc comment les citoyens risquent d’être moins bien informés.

Par Jacques-Olivier Teyssier

Logos de Côte d'azur habitat et ACM, bailleurs sociaux à Nice et Montpellier

« Dans les Alpes-Maritimes, non seulement les lois de la République s’appliquent mal, mais les élus dominants exercent sur les médias – et par leur intermédiaire sur l’ensemble de la société – un contrôle subtil, discret et sournois, d’une redoutable efficacité. » C’est ce que raconte la journaliste Hélène Constanty à propos non pas de Montpellier mais de Nice où elle a « posé [ses] malles » en 2013. Son chapitre titré « Subtil contrôle en baronie » fait écho, par certains aspects, à celui que j’ai rédigé : « Localement suivre l’argent » dans lequel je tente une synthèse de ce que j’ai pu observer à Montpellier et dans la région sur les relations médias-collectivités/politiques.

« On vit très bien sans être invitée aux vœux du maire »
Hélène Constanty raconte également comment, après avoir simplement posé des questions sur le cumul des mandats que n’a pas goûtées le maire (Les Républicains) de Nice, Christian Estrosi, « le flot des communiqués de presse » dont elle était jusque-là destinataire, s’est tari. Elle ajoute : « Certes, on vit très bien sans être invitée aux vœux du maire… Et lorsqu’on ne peut pas entrer par la porte, on finit toujours par trouver quelqu’un qui vous ouvre une fenêtre. Mais il n’est pas sain qu’un élu refuse de rendre compte de son action à ceux qui l’ont porté au pouvoir, lui déléguant le droit de les représenter. Le contrôle des citoyens sur l’action des élus locaux n’est-il pas une composante majeure de la vie politique dans les territoires de la République ? Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 15 : ‘La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.’ » De quoi me rappeler de vieux souvenir (lire ici) ou de plus récents (lire : Liberté de la presse : le préfet interdit ce que Matignon autorise)

Et la journaliste poursuit : « Jamais la dépendance de Nice Matin vis-à-vis des élus n’a été aussi forte. La publicité des trois principales collectivités – Ville de Nice, métropole et conseil départemental – pèse de plus en plus lourd dans les recettes du journal, plombé par la baisse de son lectorat et la désaffection des annonceurs. Pour le vérifier, j’ai pris un numéro au hasard, le 11 juin 2015. Édifiant ! Les trois seules pleines pages de pub de ce numéro sont achetées par la Ville de Nice. » Exactement ce que je raconte pour Montpellier quelques dizaines de pages plus loin. Le jour de la sortie du livre, France inter a choisi de consacrer la moitié de l’émission L’instant M à ces relations médias-collectivités :

Nice matin annule une interview
Ouverture d’esprit ? Méconnaissance du contenu ? Nice matin avait calé un rendez-vous avec Hélène Constanty. Et puis ce soir, voilà que la journaliste qui devait l’interviewer lui écrit ces quelques mots : « J’ai le regret de vous informer que Monsieur Denis Carreaux, notre directeur de rédaction, après avoir pris connaissance de votre contribution dans « Informer n’est pas un délit », m’a demandé d’annuler notre rendez-vous de ce vendredi. » Pas de chance.

Au niveau national, si la couverture média du livre démarre très bien (voir ci-dessous), notons quand même l’annulation de l’invitation du Grand journal sur Canal+ prévue de longue date. Alors qu’un chapitre est consacré à Vincent Bolloré, nouveau propriétaire de Canal+ qui a censuré récemment un documentaire sur le Crédit mutuel présidé par un des amis de l’homme d’affaires, Fabrice Arfi raconte : « Notre éditeur reçoit un coup de fil de la rédaction en chef de l’émission pour dire que, finalement, rien ne sera fait sur le livre. » (telerama.fr, 30/09 et ici) Pas de chance.

Claudine Frêche et l’ex-épouse du maire de Nice
Mais revenons en province. Le logement social ? Alors qu’à Montpellier, Georges Frêche avait placé son épouse Claudine, mère de deux de ses filles, à la tête d’ACM, le premier bailleur social de l’Hérault (20 000 logements), qu’en est-il à Nice ? « Le logement, mamelle du clientélisme, est le domaine réservé de Dominique Estrosi-Sassone, l’ex-épouse du maire de Nice, mère de ses deux filles, avec laquelle il entretient d’excellentes relations. [...] elle préside Côte d’Azur Habitat, le premier bailleur social des Alpes-Maritimes (20 000 logements). En tant que présidente de la commission d’attribution des logements, qui se réunit deux fois par mois, elle détient un pouvoir important dans une ville aux loyers très élevés au regard du niveau de vie de la population, qu’elle exerce de façon opaque, comme l’a pointé un rapport de la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos), en décembre 2011. » Sur la Miilos et Montpellier lire : la politique d’attribution d’ACM encore « critiquée » par la Miilos. Claudine Frêche a été maintenue à son poste par les deux successeurs de Georges Frêche. On ne sait si on doit être rassuré par ces similitudes sur le mode c’est partout pareil ou si, au contraire, on doit s’en inquiéter…

« Informer n’est pas un délit », dirigé par Fabrice Arfi (Mediapart) et Paul Moreira (Premières lignes) va bien au-delà de ces petites particularités provinciales. Les autres co-auteurs racontent comment la justice est instrumentalisée pour les empêcher d’informer les citoyens. Par exemple Mathilde Mathieu (Mediapart) rappelle que le Parlement a déposé plainte après ses révélations pour tenter « d’identifier et de punir » ses sources qui lui ont pourtant permis de décrire la légèreté dont ont fait preuve certains parlementaires avec l’argent public (lire le chapitre gratuitement ici).

« Qu’est-ce que je peux passer comme temps
dans les cabinets d’instruction »

Ou encore Fabrice Arfi qui écrit : « Le journalisme n’est pas un délit. Mais qu’est-ce que je peux passer comme temps dans les cabinets d’instruction ou dans les salles d’audience. » Notamment pour avoir publié des extraits des enregistrements Bettencourt ou avoir enquêté sur « l’affaire dite des financements libyens » de Nicolas Sarkozy. Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Le Monde) racontent qu’ils ont été suivis, menacés, épiés, eux qui ont publié de nombreux papiers sur les casseroles toujours de Nicolas Sarkozy.

Et que dire des plaintes contre Benoît Collombat (France inter) et ses sources ? Leur tort ? Avoir osé s’intéresser aux affaires africaines de l’influent et richissime homme d’affaires, Vincent Bolloré. Sans oublier bien sûr Denis Robert : 62 procédures en diffamation contre celui qui a enquêté sur Clearstream et la machine financière internationale. Il décrypte : « Les Canadiens ont un nom pour décrire ce qui m’est arrivé. « Procédure bâillon. » On ne porte pas plainte pour gagner ou parce qu’on est diffamé. On porte plainte pour vous étouffer. La justice ne sert plus à rendre la justice mais est instrumentalisée pour faire plier le journaliste. Le fatiguer. L’user. Le piège est rapidement infernal. Pour se défendre, le journaliste crie à l’injustice, cherche à s’expliquer. Plus il s’exprime, plus il montre la force de ses adversaires. Moins il donne envie aux autres de subir le même sort que lui. »

« Je vais te tuer »
Laurent Richard (Premières lignes, Cash investigation) décrit le rôle croissant des communicants auxquels les journalistes – qui travaillent y compris sur des sujets mineurs comme à Montpellier – doivent faire face. Caroline Monnot (Le Monde) et Marine Turchi (Mediapart), dans un chapitre titré « je vais te tuer », expliquent pourquoi « couvrir le Front national et enquêter sur l’extrême droite reste difficile, singulier, malgré l’affichage d’un FN « dédiabolisé ». Une sorte de mise sous tension permanente ». Christophe Labbé et Olivia Recasens (Le Point) évoquent les entraves du « secret défense ». Paul Moreira traite d’un sujet qui est cher à Montpellier journal (nous en reparlerons) : les grandes difficultés pour accéder, en France, aux documents administratifs contrairement à d’autres pays comme La Suède ou les États-Unis (lire le chapitre sur Mediapart, sur abonnement).

Enfin, Martine Orange (Mediapart) s’attache à évoquer le projet de directive européenne sur le secret des affaires, après l’abandon d’un amendement en France, avec lequel « les multinationales entendent exercer un contrôle absolu sur tout ce qui les concerne, des grandes affaires aux petits dossiers, voire les détails. Un monde selon Orwell où seraient institués des ministères de la Vérité pour dire ce qu’il convient de penser et d’écrire, pour surveiller tout ce qui se dit, pour sanctionner pénalement et parfois lourdement toute déviance, toute dissonance. » Une question portée également par Elise Lucet (France 2, Cash investigation) qui a lancé en janvier 2015 une pétition pour combattre ce projet de directive. Son titre ? « Secret des affaires : informer n’est pas un délit. »

C’est maintenant aux citoyens de jouer. Car le célèbre poème de Martin Niemöller n’a jamais été autant d’actualité.

D’autres articles et passages médias (Une « * » devant indique que Montpellier journal est cité) :

  • * 19/20 (France 3 Languedoc-Roussillon, 29/09, vers 13’20)
  • * L’instant M (France inter, 30/09)
  • * « La surprise Teyssier » (L’Agglorieuse, 30/09)
  • * « Informer n’est pas un délit, le livre-manifeste » (Le Monde, 30/09)
  • * Fabrice Arfi et Benoît Collombat, journalistes : “Nous voulions raconter les coulisses de ces nouvelles censures” (telerama.fr, 30/09)
  • « ”Informer n’est pas un délit”, les menaces s’accumulent contre le journalisme d’investigation » (Les Inrocks, 30/09)
  • « La censure décomplexée » (Causette, 30/09)
  • * « Informer n’est pas un délit », pas encore (parismatch.com, 30/09)
  • « Grand Journal » : un discours de vérité (par Fabrice Arfi, 1/10)
  • Fabrice Arfi pour « Informer n’est pas un délit » (Novaplanet.com, 1/10)
  • Secret d’info (France Inter, 2/10)
  • Fabrice Arfi : « Maïtena Biraben ne dit pas la vérité » (Médias le mag, 2/10)
  • Journaliste d’investigation, métier sous (très haute) pression (Le soir (Belgique), 3/10)
  • Paul Moreira : « Il y a de plus en plus d’outils contre les journalistes et les lanceurs d’alerte » (France info, 5/10)
  • Le journalisme est-il menacé par la surveillance de masse ? (France culture, 5/10)
  • C  à vous (France 5, 5/10, vers 23′)
  • Paul Moreira :  « La liberté de la presse est attaquée » (TV5 monde, 5/10)
  • Les grandes gueules (RMC, 9/10)
  • * Atelier des médias (RFI, 10/10)
  • * Informer ? Et puis quoi encore ! (Politis, 15/10)
  • * L’investigation est un sport de combat (La Gazette de Montpellier, 15/10)

Informer n’est pas un délit, Calmann-Lévy, 234 pages, 17 €, en librairie (indépendante de préférence, mais vraiment indépendante).

Informer n'est pas un délit

Lire aussi : René Revol me réclame un an de salaire en justice


Publié dans Accès libre, Médias, Politique. Mots clés : , , , .

Un commentaire

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  1. sainati said
    on 4 octobre 2015

    à 14 h 42 min

    excellent parallèle..